LE CORNETTE AUX GARDES
Par domcorrieras, le dimanche 7 juin 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
Il fut jadis, parmi les gens des Houo,
Un beau cornette, appelé Fong Tseu-tou.
Fort du crédit de son maître, notre homme,
Au cabaret, lutinait la patronne.
La belle, une barbare de quinze ans,
Seule au comptoir, portait, pour le printemps,
Jupe à longs plis, ceinture à double pans,
Manche bouffante et corsage galant,
Dans les cheveux, des jades de Lan-t'ien,
Et des perles d'Arabie aux deux oreilles.
Ainsi parés, qu'ils lui donnaient de grâce,
Ses deux chignons, en son temps non pareils !
Chacun valait cinq millions de sapèques :
Dix millions pour les deux, et davantage !
« Qui l'eût prévu, que le Seigneur Cornette
Vint, fastueux, passer par ma buvette ?
« De quel éclat luit sa selle d'argent !
Son parasol vert s'arrête, en suspens :
« Il me demande un vin pur, et je prends,
Par ses cordons de soie, l'urne de jade ;
« Il me demande un mets fin, je lui tends,
Sur un plat d'or, une mousse de carpe.
« Il me fait don d'un miroir en airain,
Puis il m'attache un jupon rouge aux reins !
« Si je n'ai craint d'en déchirer la gaze,
Pour ce corps vil, craindrai-je davantage ?
« L'homme est tout à la dernière épousée ;
La femme, à qui, le premier, l'a choisie…
« Il est de vieux amis, et de récents…
Puis, quel commerce, entre petits et grands ?
« Grand merci, mais souffrez, Seigneur Cornette,
Que telle amour demeure insatisfaite ! »
Sin yen-nien / Poèmes des Han (206 av. J.-C. - 219 ap. J.-C.)
Anthologie de la poésie chinoise classique
sous la direction de Paul Demiéville, professeur au Collège de France