« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

A bord d’un bateau négrier


 

 

A bord d’un bateau négrier

ils m’amenèrent.

Sucre et fouet fut la plantation.

Soleil d’acier.

Ma sueur comme du caramel.

Au pied, les fers.

 

Aponte, souriant m’a parlé.

M’a dit : — Je veux.

O mort ! après toi le silence.

Et puis la nuit.

Quel long et pénible sommeil !

Rêve cruel.

 

                 La Yagruma

                 de neige et d’émeraude était

                 au clair de lune.

 

O’Donnell. Son poing dur et sec.

Cuir sur le cuir.

Les policiers semant la peur. Cuir sur le cuir.

Mon corps n’est plus que sang et encre.

Cuir sur le cuir.

 

A cheval passe Maceo.

Moi dans ses rangs.

Le vent et son long hurlement.

Haut le tonnerre.

Des hommes, machettes qui brillent.

Moi avec eux.

 

                 La Yagruma

                 de neige et d’émeraude était

                 au clair de lune.

 

Je vois Menéndez immobile.

Raide. Etendu.

Son poumon déchiré bouillonne.

Son cœur est feu.

Ses yeux voient, ses yeux nous regardent.

Mort, mais vivant.

 

O Cuba ! Je t’offre ma voix.

Je crois en toi.

Mienne est la terre que j’embrasse.

Et mien ton ciel.

Je suis libre, je viens de loin.

Je suis un noir.

 

                 La Yagruma

                 de neige et d’émeraude était

                 au clair de lune.

Nicolás Guillén / Le Chant de Cuba - Poèmes 1930-1972
traduction par Claude Couffon