« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ecoute-moi


 

 

Ecoute-moi. C'est une grande maison basse

Qui s'enfonce à demi dans le creux de la lande,

Avec un long toit penchant qui rejoint le sol,

Et un seul arbre qui se répand sur le toit.

Alentour, aussi loin que peut porter lu vue,

Tout est désert, tout n'est qu'une onde d'herbe rase,

Ou que douce épaisseur de bruyère feutrée

Et tant d'espace ne s’étend jusqu'à personne.

Il n'y a pas un signe de possession.

Par endroits, une pierre plantée, un genêt.

Dès septembre, il vient là-dessus de lents brouillards;

On est seul, comme au fond de son meilleur sommeil,

Et l'on voit tout à coup naître et fuir dans la brume

Un poulain libre qui galope sans nul bruit.

Et c'est la neige, après, qui commence à tomber.

Elle est tendre, au début, elle fond vers midi,

Laissant une rosée é la pointe des herbes.

Mais un beau jour d'octobre elle ne s'en va plus...

La maison est alors aussi secrète et seule

Que si on se cachait à cent pieds sous le sol.

L'on n'entend plus que la fontaine intérieure

Couler infiniment dans l'auge de granit.

Alors la maison s'emplit de la chaleur de l'étable.

L'eau semble tiède aux mains comme la laine des brebis.

Il ne vient un peu de jour que par la haute lucarne

Qui est auprès de l'arbre et que la neige n'atteint pas.

C'est une fente étroite et profonde comme une source.

Le jour qui en descend parait un plaisir d'homme riche,

Et on le recueille avec beaucoup de soin dans ses yeux.

        Mais le soir une grosse lampe

        Bourdonne au-dessus de la table

        Jusqu'à l'heure de s'endormir.

Les lits sont enfoncés dans une touraille de bois,

Ils vont loin, comme des trous d'insecte au cœur d'un vieil arbre.

Le sommeil y est plus enivrant que partout ailleurs,

Plus libre de la terre, plus entré dans l'autre vie;

Le sommeil, Thérèse, le sommeil et aussi l'amour.

Jules Romains / Cromedeyre-le-vieil (extrait)