« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PETIT POÈME INFINI


 

 

Pour Luis Cardoza y Aragon

 

 

Se tromper de chemin

c’est rejoindre la neige

et rejoindre la neige

c’est paître durant vingt siècles les herbes des cimetières.

 

Se tromper de chemin

c’est rejoindre la femme,

la femme qui ne craint pas le jour,

la femme qui tue deux coqs en une seconde,

le jour qui ne craint pas les coqs

et les coqs qui ne savent chanter sur la neige.

 

Mais si la neige se trompe de cœur

elle peut rejoindre les vents du sud

et comme la rafale n’écoute pas les gémissements

il nous faudra encore une fois paître l’herbe des

          cimetières.

 

J’ai vu deux douloureux épis de cire

qui enterraient un paysage de volcans

et j’ai vu deux enfants fous qui repoussaient en larmes

          les prunelles d’un assassin.

 

Mais le deux n’a jamais été un chiffre

car c’est une angoisse et son ombre,

car c’est la guitare où l’amour se désespère,

car c’est la démonstration d’un autre infini qui n’est

          point le sien.

C’est la muraille du mort

et le châtiment de la nouvelle résurrection sans fin.

Les morts haïssent le chiffre deux,

mais le chiffre deux endort les femmes

et comme la femme craint le jour

que le jour tremble devant les coqs

et que les coqs ne savent voler que sur la neige

il nous faudra paître sans relâche les herbes des

          cimetières.

Federico García Lorca / Appendice
traduit de l’espagnol par André Belamich