« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Comment m’appeler ?

 

 

 

Arbre je fus un jour arraché,

puis oiseau m’échappai, libre comme l’air,

dans un fossé trouvé enchaîné,

un œuf souillé en se brisant brisa mes fers.

 

Comment me garder ? J’ai oublié

d’où je viens et où je vais,

de tant de corps suis possédé,

un piquant résistant et un chevreuil en fuite.

 

Ami aujourd’hui des branches d’érable,

demain sur le tronc je porte la main…

Quand la faute commença-t-elle sa ronde infernale,

me menant de semence en semence sans fin ?

 

Mais en moi chante encore un commencement

— ou bien une fin — et combat ma fuite,

je veux échapper à cette faute, à sa flèche

qui en grain de sable ou canard sauvage me cherche.

 

Peut-être puis-je un jour me reconnaître

une colombe une pierre qui roule… Manque

un mot seulement ! Comment m’appeler

sans être dans une autre langue ?

Ingeborg Bachmann / Poèmes 1948-1953