« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Quand dans l’obscure signalisation


 

 

Quand dans l’obscure signalisation terrestre

me parviendra la lettre que j’attends

 

j’aurai beaucoup de peine à déchiffrer mon nom

en dessous des timbres qui recouvrent l’enveloppe

 

oblitérés d’un cachet de Notre-Dame des Vignes

Je l’ouvrirai dans l’air bleu d’une terrasse

 

alors que des fleuristes auront baissé leurs rideaux de fer

et qu’une femme passera avec de vieux soleils lessivés

 

La lettre que j’attends sera comme une barque jamais quittée

quand l’aube s’en allait et revenait par tant de matins

 

Que ne l’ai-je suivie jusqu’à la noyade

la vivante sirène sur le pavé d’ailleurs

 

puisque rien ne prévaudra contre elle

qui tant m’aima et moi si peu

 

◼︎

 

 

Ô pont d’Amercœur aux joues de pluie

et aux maigres quartiers

pont ouvert aux poètes qui pleurent

le fleuve détourné de son lit

je te préfère aux autres

conque chantant à mon oreille

 

Tu me laisses partir parfois

vers des soleils plus froids

et mordre dans l’azur

la bâche ouverte de la nuit

où passent de grands transatlantiques

des chasse-marée et des terre-neuvas

 

Si peu de lumière sur ton tablier

et si peu de lumière sur ma table

si peu que l’eau et les mots s’en vont

sans s’enrouler autour du corps

de la femme à la chair vive et veuve

trame d’une vie jetée cintre la nuit

 

une montagne de silence à traverser

Pierre Gilman / Dans la serre poétique