« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le Lièvre qui fait le brave


 

 

     Un lièvre honteux d'être poltron, cherchait  quelqu'occasion de s'aguerrir. Il allait  quelquefois par un trou d'une haie dans les choux du jardin d'un paysan pour s'accoutumer au bruit du village. Souvent même il passait assez près de quelques mâtins, qui se contentaient d'aboyer après lui.

     Au retour de ces grandes expéditions, il se croyait plus redoutable qu'Alcide après tous ces travaux. On dit même qu'il ne rentrait dans son gîte qu'avec des feuilles de laurier, et faisait l'ovation. Il vantait ses prouesses à ses compères les lièvres voisins. Il représentait les dangers qu'il avait courus, les alarmes qu'il avait donnés aux ennemis, les ruses de guerre qu'il avait faites en expérimenté capitaine, et surtout son intrépidité héroïque. Chaque matin il remerciait Mars et Bellone de lui avoir donné des talents et du courage pour dompter toutes les nations à longues oreilles.

     Jean Lapin, discourant un jour avec lui, lui dit d'un ton moqueur : Mon ami, je voudrais te voir avec cette belle fierté au milieu d'une meute de chiens courants. Hercule fuirait bien vite, et ferait une laide contenance. Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas, quand toute la gente chienne viendrait m'attaquer. A peine eut-il parlé, qu'il entendit un petit tournebroche d'un fermier voisin, qui glapissait dans les buissons assez loin de lui.

     Aussitôt il tremble, frissonne ; il a la fièvre ; ses yeux se troublent comme ceux de Paris quand il vit Ménélas qui venait ardemment contre lui. Il se précipite d'un rocher escarpé dans une profonde vallée, où il pensa se noyer dans un ruisseau. Jean Lapin, le voyant faire le saut, s'écria de son terrier : Le voilà ce foudre de guerre ! le voilà cet Hercule qui doit purger la terre de tous les monstres dont elle est pleine !

François de Salignac de La Mothe-Fénelon dit Fénelon / Fables de Fénelon