« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA ROSE DE L’ABSENT

 

 

 

(Légende du Moyen Age)

 

 

Le beau chevalier était à la guerre…

Le beau chevalier avait dit adieu

A sa dame aimée, Anne de Beaucaire

Aux yeux plus profonds que le grand ciel bleu.

 

Le beau chevalier, à genoux près d’elle,

Avait soupiré, lui baisant la main :

« Je suis tout à vous ! soyez-moi fidèle ;

A bientôt !… je vais me mettre en chemin. »

 

Anne répondit avec un sourire :

« Toujours, sur le Christ ! je vous aimerai,

Emportez mon cœur ! allez, mon beau sire,

Il vous appartient tant que je vivrai. »

 

Alors, le vaillant, tendant à sa dame

Une rose blanche en gage d’amour,

S’en était allé près de l’oriflamme

De son suzerain, duc de Rocamour.

 

Le beau chevalier était à la guerre…

Anne, la perfide aux yeux de velours,

Foulant son naïf serment de naguère,

Reniait celui qui l’aimait toujours :

 

Et, sa blanche main dans les boucles folles

D'un page mignard, elle murmurait

Doucement, tout bas, de tendres paroles

A l’éphèbe blond qui s’abandonnait.

 

Mais, soudain, voulant respirer la rose

Du fier paladin oublié depuis,

Elle eut peur et vit perler quelque chose

De brillant avec des tons de rubis.

 

Cela s’étendait en tache rougeâtre

Sur la fleur soyeuse aux pétales blancs

Comme ceux des lis et comme l’albâtre…

La rose échappa de ses doigts tremblants ;

 

La rose roula tristement par terre…

Une voix alors sortit de son cœur ;

Cette voix était la voix du mystère,

La voix du reproche et de la douleur.

 

« Il est mort, méchante, il est mort en brave !

Et songeant à toi, le beau chevalier ;

Son âme est au ciel, chez le bon Dieu grave

Et doux, où jamais tu n’iras veiller ;

 

Où tu n’iras pas, même une seconde,

Car ta lèvre doit éternellement

Souffrir et brûler, par dans l’autre monde,

Au feu des baisers d’un démon méchant… »

 

Et la voix se tut sous le coup du charme,

La fleur se flétrit, Anne, se baissant

N’aperçut plus rien, plus rien qu’une larme

Avec une goutte épaisse de sang.

 

 

Pierre Printemps

 

Gaston Couté (alias Pierre Printemps) / Revue littéraire et Sténographique du Centre, n° 12, du 5 juin 1897