LE VILLAGE DES FOUS
Par domcorrieras, le jeudi 5 juillet 2018 - Proses & autres textes - lien permanent
Il existait un village dont tous les habitants étaient fous.
Un jour, un pâtre et son troupeau s’égarèrent dans le voisinage de ce village et, le soir venu, comme une chèvre manquait, le pâtre fit des recherches dans les alentours.
Il rencontra un cultivateur, qui travaillait à son champ, et lui demanda : « N’as-tu pas vu, dans ton champ, une chèvre égarée ? — Mon champ commence devant moi et finit derrière moi, dit l’homme, cherche et tu trouveras. »
Voyant qu’il n’en obtiendrait rien, le berger s’éloigna. quand il eut retrouvé sa chèvre, il réunit son troupeau bêlent pour passer la nuit à la belle étoile, car il ignorait s’il y avait un village dans les environs. Soudain, vint à passer le cultivateur avec lequel il s’était déjà entretenu, il s’en approcha et, pour se ménager ses bonnes grâces, lui dit :
« j’ai retrouvé ma chèvre qui s’était égarée, la voici ; je te la donne bien volontiers, si tu veux m’accorder l’hospitalité.
— Ah ! par exemple, s’écria le cultivateur, en voilà une histoire ! Comment ! tu m’accuses d’avoir volé ta chèvre ? Nous allons régler cette affaire chez le chef du village. »
Quand ils furent en présence du chef du village, celui-ci s’écria, dès que le berger voulut parler : « Allons ! encore une histoire de femme ! vraiment ça ne peut durer, je vais quitter le village. » Et s’adressant à sa femme, il lui dit : « Viens, partons ! »
la femme confia à l’une de ses servantes placée à côté d’elle : « Non, je ne puis continuer à vivre avec un homme qui parle toujours de divorcer. »
La servante était occupée à décortiquer des arachides et, au moment où sa maîtresse lui parlait, un mendiant se présenta pour demander l’aumône. La servante dit au mendiant : « Peux-tu croire, pauvre homme, que depuis ce matin je suis occupée à cet ouvrage et que je n’ai pas encore mangé ? » Et, sans plus, elle mit les arachides dans le boubou que tendait le mendiant, qui s’en alla en disant : « Bien merci ! Dieu soit loué ! »
Blaise Cendrars / Anthologie nègre