CARCASSONNE,NARBONNE ET BÉZIERS
Par domcorrieras, le lundi 2 avril 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
CARCASSONNE
[pages manquantes]
Il aurait fallu peindre ceci comme — mais il est mort [illisible], l’année avant l’avènement de la grâce chrétienne — laissant son œuvre en panne, il faudra donc que l’aimable lecteur se transporte au sud et voie par lui-même. Et pas par le train, surtout, car le train, il passe par un trou petit et noir, plus réduit encore que le salon de Madame, et il n’y verra rien du tout quand il regardera par la fenêtre.
Carcassonne est, comme chacun sait, engluée dans une inertie qui l’a conservée, comme la lave Pompéi. Du haut de ses murailles, on voit Pennautier, qui a pu être celui de Loba 1.
NARBONNE ET BÉZIERS
Coquille
comme les villes
en tapisserie
par-delà les vignes
l’ardoise neuve
note personnelle
seules les ruines des salles
offrent quelque trace
d’usages intimes,
le meneau parfois
d’une fenêtre
là-haut dans l’épaisseur
de la muraille
là où le temps,
la main n’ont pu
l’atteindre.
Plus on
a, plus c’est
légende
Trop pareil
aux toits sur
Regent’s Park
ou St Jane,
débordant de lumière
magie pure
Rebord bas des
collines dans le gris
de la brume de
chaleur
qui va vers Narbonne.
Narbonne
Per la glori del terraine
A la memori
De la vescontessa
n’Ermengarda XIIeme
et dels trobador
Benrhart Alan han
Gui. Fabre XIIIeme
G. Riquier
filhs glorios de
Narbonna la arrada 2.
Narbonne n’est pas aussi
mal qu’on le dit 3
— chaleur de four
mais pas aussi ennuyeuse
qu’on le dit.
Malgré des abords d’un
Paris au rabais
ou d’une ville du
Middle West
on observe. — Non,
l’endroit a du charme.Ìk plaît autant qu’un autre
pourvu qu’on veuille bien s’asseoir dans un
grand café, à lire
du Maupassant. J’étais venu
pleurer le rivage
disparu, mais Narbonne reste
maritime —
modestement, certes, un
canal aux eaux brunes, péniches et
lavandières, pâle reflet de
Venise — mais non,
voilà de la couleur, un pont bordé
de maisons et la plus grande
est éclatante, rose flamboyant.
Est-ce ce côté latin qui m’émeut ?
Peut-être bien.
La cour du
appelons ça municipio
et sa tablette, ce n’est plus
gaulois.
cit.
L’église médiévale,
ses arcs-boutants, ses créneaux,
est « tardive », mais que diable
on ne peut pas toujours jouer les philologues.
Ce lieu a lui aussi
eu son épopée — un peu hors sujet une
chançon de geste *, alors
errons un
peu.
Gallia Narbonensis 4.
Narbonne-Capestang
Il est bien étrange de
se retrouver sur du plat,
quand on s’est habitué aux ornières.
mais la route, quand je suis sorti
ce soir de Narbonne,
était bien plaisante.
J’ai d’abord longé les berges
bordées de sycomores
puis de broussailles, et
après quand commencent les dunes
c’est une terre de vignes
et d’oliviers,
des oliviers, quand
on a quitté l’Italie
depuis près d’un an,
eh bien ça suffit
à vous dédommager en un jour
[rayé : des faux amis,
des critiques mensongers ]
tandis que les collines se dressent
pâles, là-bas, dans le lointain
comme un nuage de poussière.
À gauche les ruines d’un château
des marais et peut-être Cabestang 5.
a guisa de leon 6.
q.s.p.
à mi-hauteur
à mi-distance.
Je sors de l’Aude
j’entre dans l’Hérault 7.
Le soleil était
dans ses nuages
comme un lampion
rose
et peut-être parce que
j’étais très fatigué
ou alors c’était quelque
chose dans l’air
ou dans la disposition
du terrain,
cette marche
c’était comme
un retor au foyer,
on s’attendait presque
à rencontrer
la famille.
Le gamin qui gardait
ses moutons traînait
comme s’il me
connaissait et voulait que je
parle avec lui.
Capestang est
comme son nom l’indique, etc.
Voilà un château,
qui accroche pour de vrai
des lumières à ses tours
ou plutôt c’était
une église en ruine
qui dans
l’obscurité
ressemblait à un château
mais j’étais trop fatigué
pour faire la différence.
Et donc je vous assure
que du ragoût de veau
aux carottes et aux olives
tout ensemble est un plat
des plus succulents.
À douze kilomètres environ
d’ici, vers l’ouest, il y a Montmoulier,
peut-être le Montaussier de Tibors 8?
mais j’ai tourné à l’est, vers Béziers.
Le lendemain
il faisait trop chaud pour bouger
alors j’ai fait laver mes vêtements
au canal et j’ai
attendu que le soleil se couche.
La fraîcheur d’un autobus m’a
ranimé à cinq heures
(La pauvre ruine du château ne se
voit pas au-dessus des
maisons.)
Les terres à
l’Ouest,
nimbées de
poussière, de chaleur,
conservent le
mirage et
montrent la marque du
travail de la mer.
Il y a une tour raide
sur le sable
à la pointe de Montady.
Quant à Béziers
indéniablement,
irrémédiablement,
c’est une ville hideuse. Seul
soulagement,
la rivière.
Mais ce fut sans nul doute
une forte ville
et son vicomte
un grand personnage 9.
En s’en approchant, on
voit un mur sans ornements
et la coque d’une église
par le travers
et de là
sous le regard
s’étend
la plaine
et quelque part,
là-bas, loin,
le seul point peut-être
d’intérêt, le [illisible].
L’église est tout
mâchicoulis
et créneaux
mais même ainsi
elle n’a pas grand attrait.
Elle combine les inconvénients
de l’ancien et du
moderne
tous les inconvénients.
Puisqu’il en était
ainsi, j’ai
fait halte
ce soir-là à
l’hôtel du Cheval Blanc
sur le quai, à Agde.
J’y suis arrivé en
longeant le canal
sous un ciel
méditerranéen, ah,
certes oui, je connais
mon métier, il y
a des artistes
dans d’autres domaines
mais quand il
s’agit de vivre, là,
c’est sûr, je connais mon métier.
J’ai commis de terribles
erreurs, j’ai traversé
des moments
affreux — je dis bien, affreux —
mais le métier, je connais ça,
comme personne peut-être
depuis Flaccus 10.
Comment demander à
un homme de faire
de la poésie, par une
nuit comme
celle-ci ! Fous, qui lisez
des livres,
allez au sud et vivez-
y. C’est
tout ce que j’ai
à dire pour cette fois-ci
jusqu’à sa fin ultime
la vie
malgré tous ses
embrouillaminis,
ses circonvolutions,
la vie
en vaut la chandelle,
allez au sud, vivez-y
de jour,
de nuit, de
corps, ou
d’esprit.
Cueillez ! Carpe
cela et tout le reste,
raris, et le jour, et
la couleur et
le son, et l’heure et
le moment et toute chose
et toutes choses vraiment
principalement proches
de votre cœur
ou de votre désir.
Mais que votre désir
ne soit pas
mesquin, ne soit pas
médiocre. Pour un peu
je citais Baudelaire et son
Enivrez-vous 11.
Moi qui ai vécu quatre mois d’un trait
à Venise et par deux fois
des semaines, et des mois
à Sirmio « venusta 12»,
vais-je me jeter
dans le dithyrambe
pour une nuit sur un quai
perdu, dans une ville
oubliée. Parce qu’il
y a peu
d’eau sous ma
fenêtre,
et que le ciel
a un beau
teint ?
D’un côté
la mer blanchie et
décolorée, de
l’autre l’étang de Thau bleu
profond, comme
vu à travers
une vitre dépolie.
…………………….
NOTES
1. Les travaux de restauration et de conservation de Cracassonne ont été menés par Viollet-le-Duc entre 1850 et 1879. Pennaudier se trouve au nord-est de la ville.
2. « Pour la gloire du pays / À la mémoire / de la vicomtesse / Ermengarde XII / et des troubadours / Bernhart Alan / Gui Fabre XIII / G. Riquier / enfants glorieux / de la fertile Narbonne. »
3. Smith (II, 219) décrit Narbonne comme « une ennuyeuse ville de province. »
4. Nom latin de la province dont Narbo était la capitale. Aimeri de Narbonne est une chanson de geste du début du treizième siècle, qui est associée à cette ville.
5. Patrie du troubadour Guillem de Cabestang, dont le cœur fut servi à dîner par Raimon de Roussillon à son infidèle épouse Soremonde. Cf. Smith I, 238, et le Canto 4.
6. « A guisa de leon… quando si posa » (« Avec la majesté du lion au repos »). Purgatoire, VI, 66, description de Sordello.
7. L’Aude marque la frontière entre les départements de l’Aude et de l’Hérault.
8. Tiborc (ou Guiborc) de Montausier était cette vicomtesse de Chalais mentionnée dans le poème de Bertran. Dompna pois de me no’us chal.
9. Béziers et son vicomte jouent un grand rôle dans un des premiers poèmes de Pound, Marvoil (P, 21).
10. C’est à dire le poète romain Horace.
11. Titre du poème en prose de Baudelaire, Enivrez-vous.
2. Pound a vécu à Venise en 1908 et a passé le printemps de 1910 et 1911 à Sirmio.
Ezra Pound / Sur les pas des troubadours en pays d’oc.
traduit de l’anglais par Béatrice Dunner.