« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Dans ma maison


 

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Dans ma maison vous viendrez

D'ailleurs ce n'est pas ma maison

Je ne sais pas à qui elle est

Je suis entré comme ça un jour

Il n'y avait personne

Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc

Je suis resté longtemps dans cette maison

Personne n'est venu

Mais tous les jours et tous les jours

Je vous ai attendu

 

Je ne faisais rien

C'est-à-dire rien de sérieux

Quelque fois le matin

Je poussais des cris d'animaux

Je gueulais comme un âne

De toute mes forces

Et cela me faisait plaisir

Et puis je jouais avec mes pieds

C'est très intelligent les pieds

Ils vous emmènent très loin

Quand vous voulez aller très loin

Et puis quand vous ne voulez pas sortir

Ils restent là ils vous tiennent compagnie

Et quand il y a de la musique ils dansent

On ne peut pas danser sans eux

Il faut être bête comme l'homme l'est souvent

Pour dire des choses aussi bêtes

Que bête comme ses pied gai comme un pinson

Le pinson n'est pas gai

Il est seulement gai quand il est gai

Et triste quand il est triste ou ni gai ni triste

Est-ce qu'on sait ce que c'est un pinson

D'ailleurs il ne s'appelle pas réellement comme ça

C'est l'homme qui a appelé cet oiseau comme ça

Pinson pinson pinson pinson

 

Comme c'est curieux les noms

Martin Hugo Victor de son prénom

Bonaparte Napoléon de son prénom

Pourquoi comme ça et pas comme ça

Un troupeau de Bonapartes passe dans le désert

L'empereur s'appelle Dromadaire

Il a un cheval caisse et des tiroirs de course

Au loin galope un homme qui n'a que trois prénoms

Il s'appelle Tim-Tam-Tom et n'a pas de grand nom

Un peu plus loin encore il y a n'importe quoi

Et puis qu'est-ce que ça peut faire tout ça

 

Dans ma maison tu viendras

Je pense à autre chose mais je ne pense qu'à ça

Et quand tu seras entrée dans ma maison

Tu enlèveras tous tes vêtements

Et tu resteras immobile nue debout avec ta bouche rouge

Comme les piments rouges pendus sur le mur blanc

Et puis tu te coucheras et je me coucherais près de toi

Voilà

Dans ma maison qui n'est pas ma maison tu viendras.

Jacques Prévert