« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Vingt de juillet


 

 

 

Mon amour, mon amour, mon amour j’ai reçu un nouveau fusil. Tu as fait du thé, bu la moitié d’une tasse, tes lèvres de pourpre sur le rebord doré. Tu parviens à la fenêtre et sur la fine porcelaine houlent deux coquelicots, herbe du champ des morts.

J’ai reçu un nouveau fusil et une balle de chagrin au ventre et je me tords de toi. Je saigne d’amour, bel amour.

Ta main repousse le voilage, la lumière déborde de la rue, blanchit ton visage et tes joues églantine. Tu en aperçois d’autres qui partent, d’autres des comme moi au son de la fanfare, à qui des demoiselles offrent du tabac et des bouquets d’adieux. Mon amour, trop d’éclats, de mélodies menteuses, tu fermes les yeux et j’arrive dans ton dos. Ce fusil en bois, mon désormais frère, grandi de son sabre-baïonnette est plus haut que moi.

Le soleil me tourne la tête et je tire des cartouches en papier dans le tronc d’un hêtre. Mes doigts se couchent sur tes hanches étroites.

Je relève tes cheveux que tu n’as pas agrafés en chignon, ma bouche sur la peau chaude de ta nuque. Mes bras enserrant, là, ta petite poitrine, j’avale lentement de grandes bouffées de toi.

Je te respire et déjà je ne connais plus ton odeur. Sept jours loin de notre amour et tu m’échappes un peu. Un tout petit peu et dans des semaines, dans des mois, que me restera-t-il de toi ? J’ai égaré ton parfum et j’ai reçu un nouveau fusil, modèle 1866, de monsieur Chassepot. Avec ça et la colère et ces foutus oublis, ceux d’en face ont intérêt à viser juste ou déguerpir vite.

Loïc Demey / D’un cœur léger – Carnet retrouvé du Dormeur du val / (Cheyne éditeur (2017)