« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

M’man à quatre-vingt-neuf ans


 

 

 

 

Aujourd’hui

à la résidence

je lui ai lu un de mes trucs récents

qu’elle a écouté en tendant l’oreille

les yeux plissés

 

Ma bouche mitraillait savamment les syllabes

sous ces yeux gris acier d’une perfection intacte

 

Dans le temps elle était directrice littéraire

elle a tellement lu — elle en sait plus long sur les livres

et la poésie

que je ne pourrai jamais espérer en savoir

 

Au bout de cinq minutes je lève les yeux et fais :

« Alors qu’est-ce que tu en dis ? »

 

Elle a l’air égaré

dix mille rides sillonnent son front et s’en vont —

et reviennent

 

« Tu as toujours ce boulot de vente par téléphone ? »

me demande-t-elle

 

« Non m’man j’ai arrêté de bosser dans la journée

maintenant je ne fais plus qu’écrire »

 

« Eh bien retrouve du travail bon Dieu

et aide-moi à me lever

— il faut que j’aille aux toilettes »

Dan Fante / Bon baisers de la grose barmaid
traduit de l'anglais (États-Unis) par Patrice Carrer