« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’intervalle


 

 

 

 

 

Comme la main ouverte avec toutes ses lignes,

Et ce renflement faible à la base du pouce : telle est 

    la Terre

Où nous, voyageurs expulsés des triages d’étoiles,

Invités à franchir la haute verrière de la mort,

Nous trouvons un moment de repos, de quoi boire et bâtir

Sous le ciel arrondi comme un sein qui nous allaite

O bleu spirituel ébloui d’oiseaux, recueilli par les flaques, 

    par nos fenêtres

Et par les yeux des animaux que nous mangeons.

Le temps même nous est donné de nous connaître un peu

Dans la claire épaisseur du buisson de parole ou, 

    sans un mot,

Par le tranchant du couteau sur la gorge, et le commerce

Illicite du sang sous le drap pur et béni des noces.

Car au flanc de l’épouse aussi voyageuse, la nuit

Qui nous crache s’est faite infiniment désirable,

Et la pulsation du vide entre les mondes se prononce

Avec la douce lèvre humide et le cri qu’elle étouffe.

Et sans cesse aux deux bords du séjour battent 

    ces portes, mais

Le ciel demeure clos sur nous comme une mère,

Et l’intervalle de lumière où nos os blanchiront

Dessine avec notre ombre sur le sol qui nous élève

Sa tremblante et secrète miséricorde. 

Jacques Réda / Amen