« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VUE DE MONTPARNASSE

 

 

 

 

 

Sur le pont des Martyrs qu’un long soleil traverse,

Je me laisse engloutir par le rythme des trains,

Bossa nova du rail épousant la traverse,

Sans arrivée et sans départ. Je ne m’astreins

Qu’à regarder la Tour dont les sombres élytres

Reflètent l’or diffus du déclinant Phénix.

Quel calme. Deux clochards s’en vont avec leurs litres

Vers les gravois de la rue Vercingétorix,

Et le ciel envahi de vagues territoires

Où transhument sans fin des troupeaux, des tribus,

Passe avec la solennité des préhistoires

Sur les bâtiments qui n’en sont qu’à leurs débuts,

Changeant déjà l’espace en zone extra-terrestre

Et du coup — c’est très sûr — l’âme des habitants.

Même le promeneur à l’allure pédestre

Sent poindre aux angles droits d’autres mœurs, d’autres temps.

Néanderthal avait ce rêve dans les moelles

Quand il faisait jaillir le feu de ses silex.

Je crois — moi qui suis doute et qui roule en solex —

Que de ce vieux tas d’os nous irons aux étoiles.

Jacques Réda / Hors les murs