« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Mon père

 

 

 

 

 

Y'avait du bruit dans le grenier

Semelles balbutiantes femelle hurlante

Coffre fracassé poutres sanglantes

Un diable au cœur mou aux bras méchants

Gémissait là faisait couler

Sa bave blanche entre les lattes du parquet

Atteignait au fond l'enfant qui pleurait

C'était mon père

 

Au troquet du coin y'avait un vieux

Les rides brillantes le regard comme des hublots

Mi-grise mi-rousse la barbe de houblon

La casquette de travers une goutte aux cils

Visait le vide un couple s'embrasser

Le corps léger les yeux plantés

Des clous dans les mains le nez cassé

C'était mon père

 

Sur la grande corniche y'avait un homme

Le pas serein une enfant sur le dos

Qui lui grattait le cou lui tirait les oreilles

Un lion fier et brave il marchait

Les canines rentrées la mine sage

Le soleil sur ses cheveux rayonnait

Il n'avait pas d'ombre

C'était mon père

 

Au port d'Ajaccio y'avait un fou

Au rire puissant le regard à l'ombre

D'un panama blanc aux larges bords

Il s'envolait de belle en belle

Cavalier à la gorge pourpre il avait

Le twist dément les ongles pointus

L'éventreur de ces dames, à coup de dents

C'était mon père

 

Sur le chemin de la ferme y'avait un enfant

A genoux qui pleurait le sort

D'une grenouille écrasée

Les joues sales et l'esprit ailleurs

Vers les soldats de plomb les capitaines

Des vaisseaux qui attendent toujours sous la mer

Comme je t'aurais aimé si j'avais été

Ta mère et non toi mon père

Léa-Nunzia Corrieras / 02-2015