Énumération d'ombres
Par domcorrieras, le vendredi 21 février 2014 - Poèmes & chansons - lien permanent
Celui qui m'attend, au fond des puits :
celui qui ne sait pas qu'il est tôt pour la fin du monde
mais tard pour quitter la terre;
et celui qui entendait le vent à travers les ramures du soir
murmurer lentement dans un hangar meurtri
une plainte résolue et précise : «Souffrez les dernières
paroles
des condamnés criées dans l'écho sans futur; et
ôtez les habits de votre compassion à mon égard, alors
que je meurs
au fond d'une maison, ruiné par l'abandon. Ensuite,
sans autre geste, préparez-vous au silence que revêt
la première lueur de l'aurore»;
celui qui oublie les messages froids d'une servante que
la nuit
a rendu folle - qui entre sans frapper, dans la chambre
que la mémoire
enténèbe;
ou encore cet autre qui s'est regardé dans un miroir
pour se confondre
avec moi, qui ne le reconnais pas :
qui êtes-vous, ombres d'une lente insomnie,
corruption du poème ? Je m'assieds près de vous, me
repose du voyage.
Vous causez, je ne vous entends pas, dans l'ombre
équivoque
de la mort. Ou bien est-ce moi qui vous ai oubliées,
et vous traîne à mon insu ? Vous dont le désarroi me
supplie en vain de vous congédier d'une vie
que contamine le rêve.
Ne craignez rien. Quelqu'un m'a dit
qui vous étiez, ce qu'était votre éphémère volonté.
Un souffle
d'oubli agite les cyprès. Ce soir
aucun oiseau n'a chanté.
Nuno Júdice / traduit du portugais par Michel Chandeigne