« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Énumération d'ombres

 

 






Celui qui m'attend, au fond des puits :

celui qui ne sait pas qu'il est tôt pour la fin du monde

mais tard pour quitter la terre;

 

et celui qui entendait le vent à travers les ramures du soir

murmurer lentement dans un hangar meurtri

une plainte résolue et précise : «Souffrez les dernières

     paroles

des condamnés criées dans l'écho sans futur; et

ôtez les habits de votre compassion à mon égard, alors

     que je meurs

au fond d'une maison, ruiné par l'abandon. Ensuite,

sans autre geste, préparez-vous au silence que revêt

la première lueur de l'aurore»;

 

celui qui oublie les messages froids d'une servante que

     la nuit

a rendu folle - qui entre sans frapper, dans la chambre

     que la mémoire

enténèbe;

 

ou encore cet autre qui s'est regardé dans un miroir

     pour se confondre

avec moi, qui ne le reconnais pas :

 

qui êtes-vous, ombres d'une lente insomnie,

corruption du poème ? Je m'assieds près de vous, me

     repose du voyage.

Vous causez, je ne vous entends pas, dans l'ombre

     équivoque

de la mort. Ou bien est-ce moi qui vous ai oubliées,

et vous traîne à mon insu ? Vous dont le désarroi me

     supplie en vain de vous congédier d'une vie

que contamine le rêve.

 

Ne craignez rien. Quelqu'un m'a dit

qui vous étiez, ce qu'était votre éphémère volonté.

     Un souffle

d'oubli agite les cyprès. Ce soir

aucun oiseau n'a chanté.

Nuno Júdice / traduit du portugais par Michel Chandeigne