« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Histoires du tatou

 

 


 

3

 

Le tatou chantonne en chemin.

Personne ne l'écoute.

C'est dommage : si quelqu'un l'entendait

on pourrait savoir ce qu'il chante

ce courageux petit animal. Peut-être

nous mettrions-nous aussi en chemin.

 

 

6

 

Quand cela s'avère nécessaire

le tatou peut creuser pendant des heures :

de longues tanières, zones humides et sombres où attendre

des temps meilleurs, des pluies, époques où l'espérance

n'est plus tout à fait impossible. Si l'attente

est longue, il la trompe en dormant.

Et quand la lune se lève il lit Cervantes.

 

 

 

12

 

On peut dire  : l'harnaché, le chenillé, le solitaire,

l'édenté, le craintif, le lent,

celui qui ne peut sauter, qui ne se retourne pas,

le mangeur de vermine, le lèche-fourmis, le voleur,

le fuyard, la taupe qui tourne en rond,

le couche-tard, le noctambule, le griffu ;

celui qui s'amuse à faire tomber les chevaux,

les estropie et secoue ses écailles de rire

dans son trou malodorant.

On peut le maudire, le chercher la nuit

avec des bâtons pointus, ou des massues, dents de chien.

On peut recruter des indigènes ivres

ou des armées de moustiques pour le chasser.

Le tatou ne s'en préoccupe pas.

 

13

 

Il est inutile de le tirer par la queue :

on le sait par expérience, le tatou ne cède pas

si facilement. Et puis il a fallu

peut-être cinquante millions d'années, un imprévu

fortuit et un bon coup de chance :

un marin aux belles espérances,

une tempête, un naufrage dans un golfe terrible,

une terre ignorée et fleurie où aborder.

Il en a trop vu pour s'épouvanter ou perdre courage.

Le chemin a été lent, le voyage ardu.

À présent il avance, pas à pas. Presque content.

Fabio Pusterla / Histoires du tatou (extraits)