« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA BALANÇOIRE

 

 

 

Tu y files comme à un rendez-vous avec Dieu. Idéalement, il te faut : des framboisiers, le soleil, l’herbe sèche et une glace à l’eau. Et, un petit cahier quadrillé qui reste à terre, avec dedans, soigneusement recopié, un monde d’animaux. Assise, debout. Tu souris, le ventre au bord du vide. Et tu plies les genoux et tu tends les genoux. Et tu plies et tu tends. Loin devant, loin derrière. Tu appelles. Tu attends. Arrive enfin l’élan qui te plante dans le dos les deux ailes qu’il te faut. Te voilà cousue à deux lianes tombées du ciel. Élevée. Entre les mains de Celui qui te fait jouer. À quoi tu pries maintenant sur ta balançoire ? Dans l’air, si heureuse à voir ? Tes cheveux et tes rires en liberté. Hissée dans ton refuge, tu ne vois plus que les vents. D’ailleurs, en bas n’existe plus. Tu as beau te pencher, on ne t’attrapera plus. Le sol se froisse à toute vitesse. S’efface. Comme un trait de crayon tracé à la hâte sous tes fesses. L’enfance belle. Comme une envolée de courbes part colorier le ciel. Tu ne fais plus qu’un avec l’été. De balances en balances, tu poses des silences. Sur les gens de passage, sur ta vie entière. Sans réponse à ton âge, tu préfères le vertige. De l’instant. De tes six ans tourbillonnant et de ton cœur qui freine des quatre fers. Au moment de tomber. Tu sautes et tu saignes volontaire. Tu choisis ta chute. C’est ton retour sur terre. Même pas mal. Tu ris, des larmes de jeu sur les joues. Toujours. Tu as du rouge aux genoux comme un hymne à la vie. Et du mercurochrome plein tes prières. Jamais tu n’as su t’agenouiller autrement.

 

Céline Walter / Petite, c'est la fête tu voudrais mourir (extrait - éd. TITULI 2014)