« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Cyclisme


 

 

À Jean Carmet

 

     L'archevêque était jaloux du curé. La curé avait une bicyclette. Parfois il roulait, lâchant son guidon pour lire son livre de messe. L'archevêque le voyait passer tout noir sur ses roues d'acier devant sa fenêtre, tantôt sifflant, tantôt souriant, grisé de vitesse. Il cornait avant le tournant. Quelquefois, si une oie barrait le chemin, il sonnait avec un timbre placé devant le frein.

    Le soir, au retour, il croisait des camions lourdement chargés ou d'autres qu'il fallait dépasser, qui remontaient vers la ville. C'était le gros klaxon qui marchait, sur le côté droit du

guidon, à côté de la petite trompe.

     Quand il faisait beau sur la route le dimanche, les jeunes carmélites s'en revenaient par quatre ou cinq en chantant. Le curé les dépassait en les prévenant au moyen du grelot attaché sur la selle. Pour les encombrements, les foules, les obstacles imprévus, une sirène magnétique fixée au milieu du guidon communiquait à sa pédale de gauche.

     Il avait d'autres accessoires de secours, des trompes marines, une sorte de petit cor qu'il portait sur l'épaule. Et même, sur la tête au-dessus de son chapeau rond, une grande batterie de cuivre avec deux mailloches feutrées, dont il ne se servait que très rarement, très rarement, pour faire envie à l'archevêque.

André Frédérique / Histoires blanches