« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

13 septembre


 

 

     Parmi les signes qui m'avertissent que ma jeunesse est finie, le principal, c'est de m'apercevoir que la littérature ne m'intéresse plus vraiment. Je veux dire que je n'ouvre plus les livres avec cette vive et anxieuse espérance de choses spirituelles que, malgré tout, je ressentais jadis. Je lis et je voudrais lire toujours davantage, mais je n'accueille plus maintenant comme jadis mes diverses expériences avec enthousiasme, je ne les fonds plus en un serein tumulte pré-poétique. La même chose m'arrive quand je me promène dans Turin ; je ne sens plus la ville comme un stimulant sentimental et symbolique à la création. Chaque fois, je suis tenté de répondre : déjà fait.

     Une fois tenu le juste compte de mes diverses ecchymoses, de mes obsessions, de mes fatigues et de mes jachères, il demeure clair que je ne sens plus la vie comme une découverte et encore moins donc la poésie — mais plutôt comme une froide matière à spéculations, à analyses et à devoirs. Ici achoppe maintenant ma vie : la politique, la pratique, toutes choses que l'on apprend dans les livres, mais les livres ne nourrissent pas comme le fait au contraire l'espoir de la création.

     Or, même jeune, je m'installais éthiquement : une fois trouvée la position de l'impassible chercheur, je la vivais et l'exploitais sous forme de création. Maintenant que j'ai cessé pour de bon de l'exploiter sous forme de création, je m'aperçois qu'elle ne me suffit même pas pour vivre.

     C'est un grave dilemme : ai-je jusqu'à maintenant perdu mon temps en misant sur la poésie ou bien mon état actuel est-il prémisse d'une création plus profonde et plus vitale ?      

Cesare Pavese / Le métier de vivre (extrait)