« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES CINQ DOIGTS DE LA MAIN


 

 

Une honnête famille où il n'y a jamais eu
de banqueroute, où personne n'a jamais
été pendu.

La parenté de Jean de Nivelle

 

 


 

      Le pouce est ce gros cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, à l'enseigne de la double bière de mars.

 

      L'index est sa femme, virago sèche comme une merluche, qui dès le matin soufflète sa servante, dont elle est jalouse, et caresse la bouteille, dont elle est amoureuse.

 

      Le doigt du milieu, est leur fils, compagnon dégrossi à la hache, qui serait soldat s'il n'était brasseur, et qui serait cheval s'il n'était homme.

 

      Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et agaçante. Zerbine qui vend des dentelles aux dames et ne vend pas ses sourires aux cavaliers.

 

      Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur, qui toujours se trimballe à la ceinture de sa mère, comme un petit enfant pendu au croc d'une ogresse.

 

      Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante giroflée à cinq feuilles qui ait jamais brodé les parterres de la noble cité de Harlem.

Aloysius Bertrand (Louis Bertrand) / Gaspard de la nuit