LE VIEUX LÉZARD
Par domcorrieras, le vendredi 17 juillet 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
20 JUILLET 1920
Véga de Zujaira
Sur le sentier brûlé
J'ai vu le bon lézard
(Graine de crocodile)
En train de méditer.
Dans sa verte lévite
De ministre du diable,
Le col amidonné
Et le maintien très digne,
Il a l'air triste d'un
Vieil universitaire.
Ah, ces yeux fatigués
D'artiste malchanceux,
Comme ils fixent le soir
Qui défaille !
C'est votre promenade
Au crépuscule, ami ?
Prenez canne, vous êtes
Déjà vieux, don Lézard.
Les enfants du village
Peuvent vous effrayer.
Que cherchez-vous ici,
Philosophe et myope,
Si le fantasme vague
De ce beau soir d'été
A rompu l'horizon ?
Est-ce l'aumône bleue
De ce ciel moribond ?
Un centime d'étoile ?
Ou bien vous étudiez
Peut-être les poèmes
De Lamartine au son
Des trilles rococo
Des oiseaux ?
(Tu vois le crépuscule
Et tes yeux étincellent,
Ô dragon des rainettes !
D'un éclat tout humain.
Les gondoles sans rames
De l'idée ont filé
Sur l'onde ténébreuse
De ton iris brûlé.)
Vous recherchez peut-être
La jolie lézarde,
Verte comme les blés
De mai,
Comme les chevelures
Des sources endormies,
Qui vous a dédaigné
Délaissant votre champ.
Douce idylle brisée
À l'ombre du souchet !
Mais vivez donc, que diantre !
Vous m'êtes sympathique.
« Je m'oppose au serpent »,
Votre double menton
D'archevêque chrétien
Porte cette devise.
Le soleil s'est dissous
Dans la coupe du mont
Et le chemin se brouille
Sous le pas des troupeaux.
C'est l'heure de partir,
Laissez l'étroit sentier,
Ne restez pas toujours
À méditer !
Vous aurez bien le temps
D'admirer les étoiles
Lorsque les vers sans hâte
Vous mangeront.
Retournez au logis
Sous la ville des grillons !
Bonne nuit, mon ami,
Don Lézard !
Les champs sont dépeuplés,
Les montagnes éteintes
Et le chemin désert.
De temps en temps, tout seul,
Chante un coucou dans l'ombre
Des peupliers.
Federico García Lorca / Livre de poèmes traduit de l'espagnol par André Belamich et Claude Couffon