« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE VIEUX LÉZARD


 

 

20 JUILLET 1920
Véga de Zujaira

 

 

Sur le sentier brûlé

J'ai vu le bon lézard

(Graine de crocodile)

En train de méditer.

Dans sa verte lévite

De ministre du diable,

Le col amidonné

Et le maintien très digne,

Il a l'air triste d'un

Vieil universitaire.

Ah, ces yeux fatigués

D'artiste malchanceux,

Comme ils fixent le soir

Qui défaille !

 

C'est votre promenade

Au crépuscule, ami ?

Prenez canne, vous êtes

Déjà vieux, don Lézard.

Les enfants du village

Peuvent vous effrayer.

Que cherchez-vous ici,

Philosophe et myope,

Si le fantasme vague

De ce beau soir d'été

A rompu l'horizon ?

 

Est-ce l'aumône bleue

De ce ciel moribond ?

Un centime d'étoile ?

Ou bien vous étudiez

Peut-être les poèmes

De Lamartine au son

Des trilles rococo

Des oiseaux ?

 

(Tu vois le crépuscule

Et tes yeux étincellent,

Ô dragon des rainettes !

D'un éclat tout humain.

Les gondoles sans rames

De l'idée ont filé

Sur l'onde ténébreuse

De ton iris brûlé.)

 

Vous recherchez peut-être

La jolie lézarde,

Verte comme les blés

De mai,

Comme les chevelures

Des sources endormies,

Qui vous a dédaigné

Délaissant votre champ.

Douce idylle brisée

À l'ombre du souchet !

Mais vivez donc, que diantre !

Vous m'êtes sympathique.

« Je m'oppose au serpent »,

Votre double menton

D'archevêque chrétien

Porte cette devise.

 

Le soleil s'est dissous

Dans la coupe du mont

Et le chemin se brouille

Sous le pas des troupeaux.

C'est l'heure de partir,

Laissez l'étroit sentier,

Ne restez pas toujours

À méditer !

Vous aurez bien le temps

D'admirer les étoiles

Lorsque les vers sans hâte

Vous mangeront.

 

Retournez au logis

Sous la ville des grillons !

Bonne nuit, mon ami,

Don Lézard !

 

Les champs sont dépeuplés,

Les montagnes éteintes

Et le chemin désert.

De temps en temps, tout seul,

Chante un coucou dans l'ombre

Des peupliers.

Federico García Lorca / Livre de poèmes traduit de l'espagnol par André Belamich et Claude Couffon