« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Poème pour un rouleau de printemps dédié au grand masturbateur


 

 

Je vis dans une grande ville sans limite

où tout s'est arrêté

les oiseaux de chanter

les habitants de vivre

les arbres de pousser

et le temps lui-même semble

avoir cessé sa course de lapin de garenne

pourtant nous vieillissons

plus vite que jamais auparavant

nos visages ressemblent

à des cadrans d'horloges molles

il n'y a plus d'amoureux dans les parcs

des soldat armés jusqu'aux dents

contrôlent tout ce qui bouge

où sont passés les enfants

qui les a fait disparaître

seuls quelques ancêtres en claudiquant vont priant

entre les mausolées de cette cité naufragée

Des écrans plats à longueur de jours et de nuits

diffusent de mauvais films américains de science-fiction

aux scénarios identiques

seul le point de vue change

mais il n'y a plus personne pour écouter

bientôt les meilleurs amis ne se reconnaîtront plus

déjà les miroirs se brouillent les repères se perdent

la vérité s'est retranchée dans un no man's land inaccessible

des rêves brûlent avec des fumées noires

sortant de la gueule des crématoriums.

Il règne dans les avenues vides une atmosphère mutilante

ou quelques fantômes sans sexe, des spectres masqués

déambulent en flottant comme des nuages entre les murailles

parfois un mort soupire sous un soupirail

mais plus personne ne s'en soucie

depuis qu'un décret en lettres de sang

a rendu obligatoire l'interdiction de mourir

Autrefois j'ai entendu dire qu'en Chine

un vieux sage en marchant sur les mains

était venu voir l'Empereur pour lui apprendre

à applaudir avec une seule main

Le soleil rumine sur les toits de vieilles chansons d'antan

et derrière les fenêtres les cerveaux détraqués cuisent à gros bouillons

il fait un temps à se tirer une balle dans la peau

à sortir de sa tanière comme un animal féroce

Dans ma ville s'est répandu comme traînée de poudre le bruit de fond

d'un silence mortel lourd comme une rumeur d'apocalypse.

André Chenet, le 18 avril 2020
Photo:Aurélie Ondine Aurelie Ondine Menninger