« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Hélas ! hélas !


 

 

Hélas ! hélas ! je suis dans le trouble verger

Où les fleurs et les fruits m’entourent en danger.

Les oiseaux sont muets, les arbres n’ont pas d’ombre.

Des crapauds haletants se collent au puits sombre.

 

Je tourne dans le cercle enflammé des iris.

Hélas ! dans le soleil ma chair brûle et les lis

De leur bouquet pesant d’essences déréglées

Me provoquent sans fin tout le long des allées.

 

Sans fin à chaque bord des sentiers continus

Des œillets jaillissants agacent mes pieds nus

Et les roses d’hier trop vite épanouies

Se renversent pâmant sur mes mains éblouies.

 

Et ce jardin d’embûche où je vais sans secours

Et plein de vigne folle et de cerisiers lourds,

De seringas ardents d’où s’échappent des fièvres

Et de framboises aussi douces que des lièvres.

 

Et je voudrais manger à la branche qui pend,

À pleine bouche ainsi qu’un animal gourmand,

Les cerises, sang mûr, d’une avide sucée,

Ivre et de vermillon la face éclaboussée ;

 

Je voudrais arracher aux rosiers palpitants,

Comme on plume un oiseau sans y mettre le temps,

À pleine main leurs pétales et, la main pleine,

Les écraser sur ma poitrine hors d’haleine ;

 

Je voudrais me rouler sur la terre au sein chaud,

Les yeux brouillés d’azur éclatant, vaste, haut ;

Je voudrais… qui m’allume ainsi qu’une fournaise ?…

Des femmes au cou nu s’en vont cueillir la fraise…

 

… /…

Marie Noël / in Le chant des jours - une année en poésie
textes choisis par Colette Nys-Mazure