« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Chanson des rues


 

 

Partir, ça c’est une aventure :

Ils étaient seuls sur le petit rocher ;

Pas une mouche et la rêche nature

Était tout’ seule avec eux accrochés.

Oui zaccrochés sur un picot de pierre,

Tout seuls au monde et je l’ai déjà dit

Tout seuls au monde et seuls avec des pierres,

Tout seuls au monde et je l’ai déjà dit.

Partir ainsi, c’est un fameux voyage.

Voilà ti pas que tout s’met à bouger,

Ça boug’ d’abord comme un petit nuage

Et puis ça boug’, comme un’ mer enragée.

Tout seuls au monde et je l’ai déjà dit,

L’homme et la fill’ sur la petite roche

Tourbillonnants comm’ du vent dans un’ cloche

Mont’ en plein ciel et sont au paradis.

C’est vert, c’est roug’, c’est bleu le paradis ;

Ça sent les ang’ mais o n’y voit personne.

On peut siffler, crier comm’ des maudits,

On peut gueuler, i’a rien qui résonne.

Qu’est-ce qu’on va faire ? On enfonc’ dans des v’lours.

I’ fait trop chaud. si on tait sa ch’mise ?

I’ a personn’. Si on s’donnait des bises,

Si on s’couchait ? Si on faisait l’amour ?

On fait l’amour et ça dure et ça dure.

Quand c’est fini, on recommence encore.

L’amour au ciel, ça c’est une aventure ;

Quand c’est fini, on recommence encore.

On fait l’amour ; les soleils peuv’crouler ;

C’est bien trop bon pour déjà qu’on s’arrête

— Julot, j’voudrais mourir sans m’réveiller.

— Mimi, jamais, j’ai tant perdu la tête.

Eux qui croyaient qu’i zétaient seuls au monde,

I’ rest’ cent ans à boir’ la belle amour.

Cent ans ça fait comme un long train qui gronde.

Pour eux ça pass’ comme un petit tambour.

Eux qui croyaient qu’i zétaient seuls au monde,

Les séraphins sont là pour les zyeuter,

Les séraphins autour d’eux font des rondes

Et n’ont pas d’fleurs assez pour leur jeter.

Tout nus, tout chauds sur des mat’las d’étoiles,

Tout jeun », tout beaux, sans chemise et sans voiles,

Deux p’tits oiseaux bien au doux dans leur nid

Et pour toujours au milieu d’l’infini.

 

C’est depuis lors que les ang’sont si tristes

C’est depuis lors qu’au ciel, ça pleur’, les chants,

C’est depuis lors que tant d’malheur existe.

C’st depuis lors que Dieu est si méchant.

Géo Norge / Les râpes (1949)