« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Virelai

 

 

 

Le garçon est pour la fille,

La fille pour le garçon ;

Quoi qu’on fasse, et qu’on babille,

Ce n’est ma foi que vétille,

Que mystère et que façon ;

Le filet est pour l’aiguille,

Et le trou pour la cheville,

La limace a la coquille,

La coquille au limaçon :

Le garçon est pour la fille,

La fille pour le garçon.

Le manche pour la faucille,

Et la balle pour la grille ;

Le fil pour la cannetille,

Et le pommeau pour l’arçon ;

L’appas est pour l’hameçon,

Le bout pour le nourisson,

Et l’oiseau pour le buisson :

Et le garçon est pour la fille.

La belouse est pour la bille,

Et la boule pour la quille ;

La marge est pour l’apostille,

La gaine à l’estramaçon ;

Pour le corps la souquenille,

Et pour le bras la mandille ;

Pour le cul le caleçon,

Et pour le pied le chausson ;

La fille pour le garçon.

Pour le gueux est la quenille,

Pour le goutteux la béquille,

Pour le buveur la boisson,

Et pour la truie le son ;

Pour l’enragé la manille,

Pour le frondeur la Bastille,

Et pour le roi la Castille :

Et le garçon pour la fille.

La truelle est au maçon,

La coupe pour l’échanson,

Et la cloche pour le son ;

La géline est pour le drille,

Et le chou pour la chenille,

Et l’argent pour qui le pille ;

Le cheval est pour l’étrille,

Et pour le caparaçon ;

Le tillac est pour la quille,

La cage pour le pinson,

Et l’étang pour le poisson,

Et l’ante pour l’écusson,

Et l’épi pour la moisson ;

Le rocher est pour l’anguille :

La fille pour le garçon.

quand je vois Nymphe gentille

De belle et bonne façon,

Qui se frise et se tortille,

Se dresse et se recroqueville,

S’habille et se déshabille,

Puis se mire et se mordille,

Se parfume de pastille,

Ou d’ambre, ou bien de jonquille,

Je ne suis pas un Gerson,

Qui censure et qui vétille,

Qui grommelle, qui nasille,

Ni qui fasse de leçon ;

Qu’elle danse, qu’elle brille,

Se culbute et se brandille,

Qu’elle fourmille et frétille.

Qu’elle sautille ou pétille

À rompre le caleçon ;

Qu’elle boive la roquille

Chez Boussingault ou chez Guille,

Qu’elle vendange et grapille,

Qu’elle croustille et broutille

La salade ou la morille,

La macreuse à la lentille,

Ou la poularde au cresson ;

Qu’on la baise ou la houspille,

Qu’on folâtre ou gambille,

Avec Gaultier ou Garguille,

Avec Perette ou Lucille,

Ou Brusquet, ou Bruscambille,

Panurge, ou Bringuenarille,

Ou Castellan ou Fourilles,

Elle n’est point un glaçon :

Le garçon est pour la fille,

La fille pour le garçon.

Si la fille point ne file,

Ni n’enfe point sa rouspille,

Et ne cause ni soupçon,

Ni murmure, ni bisbille,

Ni querelle, ni castille,

dans une honnête famille ;

Une telle peccadille

Ne vaut pas qu’on s’en sourcille :

Le garçon est pour la fille,

La fille pour le garçon.

Qu’on me frotte, qu’on m’étrille,

Qu’on me berne, qu’on me quille,

Qu’on me brûle, ou me pendille,

Je dirai cette chanson :

Le garçon est pour la fille,

La fille pour le garçon.

Claude Le Petit / Poésies diverses