« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À L’ÉTRANGER


 

 

Dans le bois de cyprès,

Une pompe à essence cachée

Où veille le gros avec son chien.

Là-bas, pas de grandes routes.

Il n’y passe que des loups à jeun

Et quelques camionneurs de nuit,

Vitres brisées au front.

 

Au-delà, dans l’avenue déserte,

Tournent les roues en l’air

Lourde musique pour celui

Qui dort indifférent

Les yeux grands ouverts au froid

Sourd aux coups de l’averse.

 

Ô, lointains sommets de la douleur,

Où sont nés, où vivent les routiers

Qui ont gagné quelque chose

Tantôt en fourmis laborieuses,

Tantôt par la bière et les cartes,

Un de moins ce soir.

et tombe la rosée nocturne comme

La chemise de nuit d’une femme seule.

Un de moins. Nul ne le saura jusqu’à demain

À part le chien ensommeillé

Qui accueille leur ombre muette.

Ils ont quitté leurs camions immortels,

C’est la première fois, pour un papillon.

Et dans l’odeur d’essence ils entendent

Rouler les fruits du cyprès.

Le vieux ne bouge pas de sa place.

Plein à ras bord dans son fauteuil de pierre

Il encaisse.

Que la tortue ce soir gagne son trou.

Que nul insecte ne s’allume sous les étoiles.

Car des maisons attendent

Sous l’encens clairsemé de la lune

Et celui qui mesurait leur insomnie

Ne reviendra plus à la pompe. À présent

Il caresse un vieux renard. Il parle

La langue de la hulotte.

 

Pluie, lave la route.

L’oubli est impossible.

Dìmitra Christodoùlou / La prière de l’imprudent
traduit du grec par Michel Volkovitch