« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’ÉPAVE ET LA SIRÈNE


 

 

Cette petite main rejetée sur la plage

Par la mer, fut sculptée lentement dans le bois

D’une épave coulée à l’océan Indien,

 

Ou d’un espar qu’un jour, peut-être, sans naufrage,

Un marin brun lança, par-dessus bord, à l’eau,

D’un boutre des Maldives ou de Tuticorin.

 

Il faisait beau. La mer était fraîche du vent

Et la voile établie dans son chant monotone

Promettait pour demain le port aux maisons blanches.

 

Aux loisirs abyssaux la patiente sirène —

Avec quel instrument de fer retrouvé au fond ? —

Assise sur sa queue, dans la lumière opaque,

 

Chassant parfois d’un mouvement d’épaule les

Poissons aveugles ou les longs requins penchés,

Dégagea de ce bloc informe ces cinq doigts.

 

Son travail achevé, en nageant doucement,

Elle est venue poser au rivage de l’île

Cette offrande fragile, à la fin de la nuit.

 

L’aube efface la trace de son corps d’écailles

Qui glissa sur le sable avant de replonger.

Un jour se lève.

                          Et toi, ô femme aux longues jambes,

 

Tu passes : tu te baisses avec tes seins pareils

A ceux, nus, de ta sœur marine ; tu ramasses

Cette main minuscule, abandonnée, ouverte,

 

 

Tu la donnes à l’homme pour le faire rêver.

 

Louis Brauquier / Feux d’épaves