COMPLAINTE RURALE
Par domcorrieras, le dimanche 11 novembre 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
Soulevant sa jupe large,
Paysanne d’autrefois.
Elle était jeune.
La margelle
Basse.
Mais on ne sait pas bien
Si elle voulait mourir.
Le soir tombait : la nuit vint vite,
Et le village se ferma.
Nul ne l’entendit crier.
Tout au plus un drôle de bruit
Mêlé d’eau et de profondeur,
Qu’on n’était pas forcé d’entendre.
C’était avant la fin du siècle.
On parlait d’un beau garçon brun
Qui venait la voir de Martigues.
Mais, bien entendu, la pauvrette
Ne laissa pas un mot d’écrit.
Elle ne savait pas écrire.
Elle avait peut-être un peu honte
— Il ne parlait pas de mariage —
Elle en avait lourd sur le cœur.
Le gendarme hocha la tête
Où sa moustache bougea.
Lui, il pensait à Buenos Aires,
Ayant lu des feuilletons
Qui parlaient de proxénètes ;
Il en connaissait à Salon.
Elle s’effaça sans laisser de trace.
Elle n’était pas où on la chercha.
Elle était sous terre.
Puis, les moutons gris s’en revinrent paître
Autour du vieux puits ouvert, sur les aires,
Et tourner, l’été, les chevaux aveugles
Dans la poussière d’or du blé foulé.
Le temps passa, avec des guerres.
On l’avait oubliée longtemps.
Le garçon vécut à Martigues,
Se maria, devint grand-père,
Sans avoir jamais rien su.
Puis il mourut.
Et, d’ailleurs, que pouvait-on faire
Quand ça n’empêchait pas la terre
De tourner sur les planisphères
Où rêvaient d’autres écoliers ?
✽
Il fallut cette sécheresse
Pour qu’on découvre, au fond du puits,
les ossements d’une fillette
Et quelques vêtements pourris,
Pour que les langues se délient.
Des matrones se rappelèrent
Ce que disaient leurs grands-parents,
De cette petite compagne
Disparue dans les anciens temps.
Sa place vide au cimetière,
On y porta les os verdis,
Dans une minuscule bière
Que le prêtre prit sous le bras.
Puis il lui dit une prière,
Celle pour les agonisants.
Il s’agissait d’un accident.
(On meurt toujours par accident.)
Et moi j’écris cette complainte
Sur cette vieille histoire triste.
On ne chante plus de complainte.
Mais peut-être, douce âme en peine,
Entendra-t-on ces paroles
Silencieuses dans sa nuit.
Louis Brauquier / Hivernage / Histoires