« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VALSE MYSTIQUE


 

A mon ami Abel Renault

 

Le soir, quand paraît la première étoile,

Les cœurs de tous ceux qui sont morts d’amour

Viennent vers la terre et fendent le voile

Qui les cache aux yeux des vivants, le jour.

Alors, dans la nuit brune et fantastique,

Leur sang meurtri pleut et retombe en pleurs

Sur l’herbe, troublant la mélancolique

Chanson de sanglots du vent dans les fleurs.

 

Et les cours en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !…

 

Ils accourent tous !… le cœur du poète

Et de son amante aux yeux langoureux,

Le cœur de l’éphèbe à la blonde tête,

Le cœur torturé des vieux amoureux,

Le cœur de la vierge aimante et pudique,

Le cœur de la femme aux baisers trompeurs,

Ils accourent tous !… pris d’un nostalgique

Besoin de revoir le val des douleurs.

 

Et les cœurs en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !…

 

Ils tournent noyés dans les flots d’extase,

Parmi les parfums lourds et capiteux

Tandis que la lune au front de topaze

Etincelle au fond du ciel nébuleux ;

Et leur tourbillon noir et magnétique

Poursuit son chemin, semant des lueurs

D’or en fusion dans la magnifique

Splendeur de l’espace aux vagues pâleurs.

 

Et les cœurs en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !…

 

Mais, sitôt que perce un clair rayon d’aube

Et qu’un chant d’oiseau bruit dans le vallon,

Leur essaim léger au loin se dérobe

Et plus rien !… alors, plaintifs, ils s’en vont,

Pour rentrer, passer sous le grand portique

D’azur diaphane enlacé de fleurs

D’opale où le Dieu calme et pacifique

Dénombre, un par un, le troupeau des cœurs.

 

Et le lendemain, tous les pauvres cœurs

Reviennent danser la valse mystique.

 

 

 

Pierre Printemps.

Gaston Couté (signé Pierre Printemps) / Œuvres jeunes - in Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n°13, du 20 juin 1897