ANNONCE
Par domcorrieras, le dimanche 6 mai 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
Il nous faut pour cette place un homme de quarante ans.
Un qui ait eu dans sa vie son petit roman.
Et souffre depuis lors d ‘indigestion chronique.
Quelqu’un dont les souvenirs soient suffisamment refroidis
[pour résister avec succès aux séductions de l’évasion.
Pour qui une montagne
n’apparaisse plus confusément comme un idéal
à escalader et d’où dévaler,
mais soit quelque chose en véritable pierre
tout hérissé d’une foule d’arêtes
où on se rabote le tibia et où on se casse le cou.
Pour qui un lac ou un fleuve
ou toute autre masse d’eau
ne soit plus un prétexte à y rechercher son image,
mais un endroit où on peut facilement se noyer
quand on n’a plus tout à fait les muscles qu’on avait.
Qui en est arrivé
à cette ultime désillusion :
ne pas pouvoir distinguer
les traits respectifs, les silhouettes, et que sais-je encore
de ses Jeannettes et Jeannetons de jadis,
et qui, s’il le pouvait, ne s’en soucierait plus,
consacrant le reste de ses jours à son bureau
où registres et livres de caisse s’empilent jusqu’au ciel.
Cet homme-là, nous serions sûrs qu’il resterait.
C’est un homme comme cela qu’il nous faut pour cette place.
Alfred Kreymborg / Selected Poems