« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À LA SANTÉ DE DIEU

 

 

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Après la terre brûlée des aubes qui grelottent

Les morts de rien accrochés aux enclumes

 

Après les crocs de chiens qui palpitent d’amour

Quelques tiroirs bourrés de faucilles qui sanglotent

 

Après les grains de riz que l’on jette au néant

Ma poésie qui gesticule en vain

 

Après tous les mégots défaits par l’eau du bal

Ce sein sans doigts qui s’aplatit en ombre

 

Après les cités-cloches avides de buissons

Tous ces fruits écrasés par le mime des ferrailles

 

Après la délivrance par un nouveau fouet

Le décor lancinant des falaises qui bougent

 

Je me lève et bois mon verre

À la santé du ciel

À la santé du pape

À la santé de Dieu

Qui vend des libellules.

 

Alors je vois les emmurés

Mordre dans leurs menottes

Comme on croque un savant

Pour que s’oublie l’envers

 

Alors tous les silences maladroits

Les regards sans costumes

Les je t’aime déchiquetés

Qu’on vrille dans les échoppes

Ces dames les bigotes

Et ces messieurs les glands

Se couvrent de soutanes

Se feutrent le derrière

 

Je vois un emmerdé

Tordre les emmerdants

Et tous les vieux lits creux

accrocher des blasphèmes

Aux colères qui attendent.

 

Le manège aux bourrasques

Les dunes sans ombrelles

L’hiver sans avalanches

Les blés sans ressemblance

Tout engendre des voilures.

 

Je vois gerber de miettes l’enfance d’un oiseau

Des os de peines un palais d’organdi

Du raisin cru des lumières des cimes

Puis rire un homme dont les cornes pullulent.

 

Alors buvons un verre

Buvons deux verres

À la santé du ciel

À la santé du pape

À la santé de Dieu

Qui vend encore des libellules

Qui vend toujours des libellules…

Alphonse Pensa / Les mains crépusculaires