« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

MISÈRE DE L’HOMME



 

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L’horloge qui sonne cinq devant le soleil —
Un effroi sombre saisit les êtres solitaires,
Dans le jardin du soir sifflent des arbres nus.
Le visage du mort bouge à la fenêtre.

Peut-être que cette heure s’immobilise.
Devant des yeux tristes, des images bleues vacillent
Au rythme des bateaux balancés sur la rivière.
Un cortège de sœurs passe sur le quai.

Dans les coudriers jouent des filles aveugles et blêmes,
Pareilles à des amants qui s’enlacent dans le sommeil.
Peut-être que des mouches chantent autour d’une charogne,
Peut-être aussi pleure un enfant dans le sein maternel.

Des mains tombent des asters bleus et rouges,
La bouche de l’adolescent se dérobe étrangère et sage ;
Et des paupières battent apeurées et silencieuses ;
Une odeur de pain traverse les noires fièvres.

Il semble qu’on entende aussi des cris affreux ;
Des ossements luisent au travers des murs en ruine.
Un cœur mauvais rit à voix haute dans de belles chambres ;
Un chien passe en courant près d’un rêveur.

Un cercueil vide se perd dans l’obscurité.
Pour l’assassin, une pièce va s’éclairer, blême,
Tandis que des lanternes, la nuit, éclatent dans la tempête.
Le laurier orne la tempe blanche de l’être noble.

Georg Trakl / Crépuscule et déclin
traduction de Marc Petit etJean-Claude Schneider