« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE RAPPORT DE MACKENZIE


 

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Moi, Mackenzie Alexandre

je rassemble ces notes

au cœur des contrées sauvages d’Amérique

pour relater nos expectations

situations et progrès

pendant le cours

de notre mémorable expédition

depuis le fort Chipewyan jusqu’à l’océan Pacifique

 

outre moi-même, McKay et un chien

il y avait dix Canadiens français

(les meilleurs canotiers qui soient

à l’exception bien sûr des Esquimaux et des Indiens)

tous embarqués dans un bateau extravagant

chargé jusqu’au plat-bord

de trois mille livres de matériel divers

 

jour après jour nous nous échinions

à manier la rame, la perche ou la corde

à coltiner le chargement aux portages :

labeur fastidieux et harrassant —

mais partout quelle splendide beauté !

de hautes falaises, grises et rouges

une multitude de rapides et de cascades

bouleaux, pruches, saules, cèdres

hautes montagnes bleues couronnées de neige

 

commerçant avec le peuple du Castor

les tribus des Rocheuses

le peuple du Saumon

apprenant leurs parlers

observant leurs modes de vie

dans ces terres extrêmes du septentrion

 

aux géographes en fauteuil

j’envoie ce message définitif :

ayant accompli ce voyage

je puis affirmer sans craindre les reproches

qu’il n’y a dans le Nord-Ouest aucun fabuleux passage

ouvrant sur une Asie indolente et riche

seuls une étendue d’eau blême et silencieuse

un rivage jonché d’algues

pris dans les brouillards

peuplé de loutres et de phoques

 

je confie cette lettre

à un vieux tonneau de rhum

que je livre ce jour d’hui

27 juin 1703

aux eaux de la rivière Anonyme

dans l’idée qu’à l’avenir possiblement

quelqu’un la découvrira

les yeux remplis d’émerveillement.

Kenneth White / Les archives du littoral
traduit de l’anglais par Marie-Claude White