Les enfants d’Attila
Par domcorrieras, le vendredi 23 juin 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Je crois bien que la terre est un trop vieux pays.
Les hommes ont trop de mal à s’imaginer Dieu, tout
seul au-dessus d’eux…
Ils vont leur chemin comme ils peuvent
en serrant fort les dents.
Car ce sont des chemins qui mènent au massacre.
Toutes les proies sont bonnes et tous les coups permis.
Le bout du monde est à deux pas d’ici.
La banlieue de Pekin s’étire au long
des fleuves et va jusqu’à Marseille
à travers les toundras où les petits chevaux des enfants
d’Attila sont devenus fossiles
quelque part, au cœur d’une forêt pétrifiée qui se
métamorphose en silence.
Le temps travaille à son rythme
et les fossiles, quelque part sous les sables,
sous le béton de nos palaces où le moindre termite à la
télévision,
les fossiles vont vite
et les petits chevaux des enfants d’Attila savent bien
que le temps des grandes chevauchées ne fait que
commencer
et l’herbe, ce jour-là, ne repoussera plus,
mais vraiment plus du tout.
Le ventre de la terre est toujours en gésine
et c’est là que la mort fait son profit de tout.
Je crois bien que la terre est au bout de sa course,
Un trop vieux pays pour nous tous,
où l’homme ne sait déjà plus courir sans tomber.
La peur fait son nid partout,
au creux des téléphones,
sous les nuages qu’on survole
et derrière le sourire d’incroyables Chinois,
d’indéchiffrables nègres.
L’inoffensif est pire que tout !
Le pire est à la porte, on l’entend respirer
et l’on se demande en secret si c’est pour cette nuit
ou pour l’année prochaine,
pour après notre mort…
Mais à trente pieds sous les steppes d’Asie Centrale,
sous l’incroyable muraille que le vieil Empereur Tsin
fit édifier farouchement avec toutes les pierres de la
Chine, et la sueur et le sang de millions de Chinois,
les petits chevaux noirs des enfants d’Attila
sont en train d’achever le cycle mystérieux qui conduit
au pétrole…
et quand ce temps viendra,
quand la vaste forêt qui les ensevelit deviendra poche
noire et liquide et gluante
et qu’on la percera,
alors, ils se réveilleront
transformés, plus fougueux que jamais, et leurs crinières
de flammes claqueront dans le vent
sur l’encolure des derricks…
et la dernière chevauchée commencera vers l’Ouest
à travers les toundras jusqu’au bout de l’Europe,
et le troupeau fringant, aux crins de feu flottant,
fouettant, cravachant la terre sous ses pas,
les petits chevaux rouges des enfants d’Attila
plongeront dans la mer et jusqu’aux Amériques
et jusqu’à l’autre mer
pour enfin retrouver le pied de la muraille auguste
du vieux Tsin qui donna son nom à la plus vaste terre
sous laquelle endormis, les enfants d’Attila attendaient
patiemment la chevauchée des flammes.
Petits chevaux de feu qui passeront sur nous,
et l’herbe à tout jamais
ne repoussera plus,
mais vraiment pas du tout.
Bernard Dimey / Je ne dirai pas tout / Testament