« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

NICHORI


 

 

 

 

 

Etranger, quand tu verras un village où la nature est riante,

et où chaque platane abrite une jeune fille

aussi belle qu’une rose — alors arrête-toi, étranger;

            tu es arrivé à Nichori.

 

Et si le soir venant, tu sors pour une promenade,

et rencontres sur ton chemin des noyers, ne poursuis pas

ton voyage. Où trouver ailleurs un endroit

            plus beau que Nichori.

 

Nulle part au monde les fontaines n’ont une telle fraîcheur,

les montagnes n’ont pas ailleurs la majesté de ses collines;

et l’odeur de la terre suffira pour t’enivrer,

            si tu restes à Nichori.

 

Les feuillages que tu verras là, n’espère pas les retrouver

dans un autre pays. Contemple depuis les hauteurs

la campagne alentour, et dis-moi comment ne pas aimer

            notre petit Nichori.

 

Ne crois surtout pas, étranger, que j’aime exagérer.

Il existe bien des endroits fertiles et productifs.

Mais ils ont quelque chose de plus, tu l’avoueras toi-même,

            les fruits et les fleurs de Nichori.

 

Si tu veux entrer avec moi dans l’église

de la Vierge de Koumari, pardonne à ma ferveur

excessive. Les prières ont, il me semble, un autre charme

            dans le pieux Nichori.

 

Et si tu ne peux pas rester, avant de partir, étranger,

il te faut descendre un dimanche sur le port, chez Grigori;

tu y verras la paix, la jeunesse et la joie, alors tu comprendras

            ce qu’est notre Nichori.

 

(1885)

Constantin Cavafis / Esquisses (1885-1923)
traduit du grec par Dominique Grandmont