« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LM


 

 

 

 

Et puis arrive le temps des regrets.

Dans la demi-lumière des réverbères,

dans la pénombre des illuminations

nous ne reconnaissons plus nos maîtres.

 

Une ombre s’avance entre nous,

vit, palpite, nous repousse

et victorieuse un instant

rassemble ses courtisans.

 

Toute vie n’est qu’un battement de cœur,

un bruit de phrases, un clapotis de fautes,

une nuit sur la barque du sexe

qui descend le ruisseau du silence.

 

Adieu, création tardive

de mes largesses importunes,

chute amère de mes triomphes,

envol de ma tendresse fragile.

 

O Seigneur, tu marches par le monde

pendant que nous parlons à mi-voix,

tu t’avances d’un pas cruel

et tu respires mon visage.

 

Tu veux, dans l’herbe sombre

coudre aux défaites humiliantes

les grains interstices du temps

sur l’asphalte des vainqueurs.

 

Toute chose arrive lentement

et me crie : vis donc, vis,

tourne, tourne devant moi,

comme la ronde folle de l’amour.

 

Luis sur les semailles douloureuses

et sur les chagrins de chaque jour,

hausse les épaules dans la nuit

et pleure sur tous les hommes.

Joseph Brodsky / Collines et autres poèmes
Traduit du russe par Jean-Jacques Marie