I WAS BORN
Par domcorrieras, le mardi 23 février 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Si ma mémoire est bonne c’était vers l’époque où je commençais tout juste à apprendre l’anglais.
Soir d’été. Je marche avec mon père dans l’enceinte d’un temple bouddhique quand soudain, semblant émerger du fond de la brume, une femme toute blanche vient vers nous. Lentement l’air alangui.
Elle semblait enceinte. Prenant garde à ce que mon père ne s’aperçoive de rien, je ne pouvais cependant détacher les yeux du ventre de cette femme. J’imaginais son fœtus la tête en bas, ses remuements souples, son arrivée prochaine en ce monde et cette idée me frappait par son étrangeté.
La femme passa près de nous et s’éloigna.
Les pensées d’un jeune garçon ont tendance à procéder par bonds. À cet instant je compris pourquoi « naître » est évidemment quelque chose de « passif ». Tout excité, je m’adressai à mon père :
— C’est pour ça qu’on dit « I was born »…
Mon père me jeta un regard perplexe. Je répétai :
— « I was born », tu sais bien : c’est un verbe au passif ! Pour être exact, il faudrait dire que les êtres humains, c’est une force qui les fait naître. Ça ne vient pas de leur propre volonté…
À cet instant quel ne dut pas être l’étonnement de mon père devant les paroles de son fils ! Sur mon visage, capta-t-il uniquement une expression d’innocence ? Pour le percevoir j’étais encore beaucoup trop jeune. car pour moi, il ne s’agissait là que d’une simple découverte grammaticale.
Mon père marcha un instant sans rien dire puis il me raconta une histoire inattendue.
— Cet insecte qu’on appelle l’éphémère, eh bien… il ne vit que deux ou trois jours et puis il meurt mais alors, pour quelle raison vient-il en ce monde ? À une époque, cette question m’a terriblement tourmenté…
Je regardai mon père. Il poursuivit :
— J’en avais parlé à un ami et un jour il m’a montré au microscope l’un de ces éphémères, une femelle. D’après ses explications sa bouche s’était atrophiée au point de ne plus pouvoir absorber de nourriture. Si on ouvrait son estomac il ne contenait que de l’air. J’ai regardé et c’est vrai. Mais son abdomen était plein d’œufs, plein à craquer il y en avait même au niveau de son thorax frêle. On aurait vraiment dit que la tristesse de passer à un rythme vertigineux par des cycles incessants de vie et de mort lui remontaient à la gorge jusqu’à la nausée. C’étaient des grains de lumière tout tristes. Me tournant vers mon ami, j’ai dit « des œufs » il a approuvé d’un signe de tête et m’a répondu : « Ça fait peine à voir, non ? » C’est peu de temps après, tu sais que ta maman est morte alors qu’elle venait de te mettre au monde…
Ce que mon père me raconta ensuite je ne m’en souviens plus. Simplement, aussi lancinante qu’une douleur physique une chose resta gravée dans mon esprit.
— Pesant de tout mon poids jusque sur la poitrine frêle de ma mère jusqu’à l’étouffer : mon corps blanc….
Yoshino Hiroshi - 1957
traduit du japonais par Dominique Palmé