« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'Adieu des Fîlles de Joye à la Ville de Paris

 

 

 

 

 

Esprits, qui faute de matières, 

Croupissez dans l'oisiveté, 

Et privez la poste'rité 

De vos esclatantes lumières; 

Apprenez en lisant ces vers 

Que c'est affronter l'Univers, 

Consumer à crédit les encens de la Muse, 

Faire au pauvre Renom incartade tout net, 

Qui d'un sujet fameux enflant la cornemuse. 

Fait pulluler la corne, et vuider le cornet. 

Demeurez donc dans le silence 

Ténébreux enfans de la nuict, 

Goustez sans allarme, et sans bruit, 

Les douceurs de la nonchalance. 

Je chante en dépit des destins 

Le dolent Adieu des Putains, 

De leur mourant trafic, la déroute mortelle, 

Ce n'est point profaner l'eau du sacré ruisseau. 

J'ayme mieux rendre en vers la Muse maquerelle 

Que de passer en prose ailleurs pour maquereau. 

Muse aux gages de Cythèrée, 

Qui rime si souvent pour rien. 

Qui te nourris de rost de chien, 

Et d'autre semblable denrée : 

Pour te fortifier les flancs 

D'un quartron de mirobolans : 

Je te regaleray ma gaillarde Eratine, 

Conduis de l'œil ma plume en l'essor qu'elle a pris, 

Assise sur ton cul monstre m'en la routine 

Et fay parler tes sœurs, les Nimphes de Cypris.

Claude Le Petit (1638-1662)
Ilustration : poème rue-de-nevers : claude-le-petit-pont-neuf