« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La montagne qui accouche

 

 

 

 

 

 

C’était une montagne à cime haute et fière

Défiant le plus haut ciel de son garrot

 

Elle barrait sans peine les rafales du vent

Et repoussait des épaules les étoiles filantes

 

Les nuages la coiffaient de turbans noirs

Que les éclairs paraient de rouges mèches

 

Je tendis l’oreille, bien qu’elle fut muette

Et j’appris d’elle de merveilleux secrets :

 

« Souvent, dit-elle, je fus repaire de brigands

Refuge aussi des ermites repentants

 

« Des voyageurs virent à moi, nuit et jour,

Et dormirent à mon ombre montures et cavaliers

 

« Souvent mes flancs furent heurtés par le vent

Et je subis tout autant les assauts de l’océan

 

« La mort finit pourtant par tout engloutir

Rien ni personne n’est épargné par le temps

 

« Ce n’est point l’oubli qui sécha mes larmes

Je les avais déjà taries en faisant mes adieux

 

« Dois-je encore rester si mes amis s’en vont

Dire au revoir à ceux qui ne reviendront pas ? »

 

J’entendis d’elle, ainsi, des propos très sages

Qu’elle exprimait dans une langue éprouvée

 

Elle me consola tout en me faisant pleurer

Et fut pour moi la meilleure des compagnes

 

Salut! lui dis-je en reprenant mon chemin

Certains doivent rester, et certains partir

Ibn Khafâja (Ibrâhîm ibn Abî al-Fath). Poète majeur de l’Espagne musulmane, né à Jucar, près de Valence, en 1058.
traduction Farouk Mardam-Bey