« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE DIA­BLE JALOUX

 

 




    ­Dans le pays des Bam­ba­ras il y a une région qu’on nomme Baninko à cause de la rivière Baninko qui la tra­verse avant d’aller se jeter dans le Dio­liba (Niger), pas loin de Bamako, à envi­ron trois jours de mar­che de cette ville.

    ­Dans ce pays de Baninko se trouve un vil­lage du nom de Tien­dou­gou. C’est un vil­lage plus grand que Fara­nah et qui est tout près de la rivière Baninko. Un homme de ce vil­lage, qui s’appe­lait Ban­diou­gou Kou­lou­laby, allait un jour à son lou­gan. Sur sa route il ren­con­tra une femme de dia­ble qui, de l’arbre où elle se tenait cachée, l’avait vu venir et le trou­vait à son goût. Elle pen­sait bien qu’il ne ferait pas le dif­fi­cile car, comme tou­tes les fem­mes de dia­bles, elle était très jolie, et d’ailleurs les hom­mes n’ont guère l’habi­tude de se faire prier.

    Elle alla donc à sa ren­con­tre et sans plus de façons : « Où donc vas-tu ? lui demanda-t’elle. — Je vais à mon logan ! répon­dit Ban­diou­gou. — Et bien, je veux te pren­dre comme bon ami ! » Et le gar­çon : « Je ne demande pas mieux, car tu es très jolie ! »

    ­Ban­diou­gou pose son fusil par terre, car il le por­tait tou­jours avec soi pour le cas où il ren­con­trait une biche. Il com­mence à « faire des bla­gues ». Lui et la femme de dia­ble fai­saient ce qu’on fait tou­jours en ce cas-là et la con­ver­sa­tion tirait à sa fin quand, tout à coup, le dia­ble arrive. Devant ce spec­ta­cle, il se fâche et assène à l’homme un grand coup de bâton. Tu pen­ses que la femme du dia­ble n’était pas con­tente. Elle com­mence à inju­rier son mari et à se dis­pu­ter avec lui. Ban­diou­gou en pro­fite pour se sau­ver à tou­tes jam­bes, lais­sant là son fusil. Le dia­ble l’a ramassé pour lui.

    ­Mais depuis ce jour-là le dia­ble en ques­tion est devenu furieux et comme fou. Il ne peut plus voir quelqu’un du vil­lage sans le frap­per comme un for­cené. Il a même tué une petite femme, car il était trop en colère pour se ven­ger d’une autre façon.

    Tu me deman­des com­ment ces dia­bles-là sont faits. Je n’en ai jamais vu, mais ceux qui en ont vu disent qu’ils ont de longs che­veux, si longs qu’ils les ramas­sent en cous­sin pour s’asseoir des­sus. Les uns sont grands, les autres petits, mais tous ont qua­tre yeux : deux à la place ordi­naire et deux sur le front. Voilà tout ce que j’en sais. N’oublie pas mon bou­nia. 

 









 

Blaise Cen­drars / Antho­lo­gie négre