LE DIABLE JALOUX
Par domcorrieras, le mercredi 6 février 2008 - Proses & autres textes - lien permanent
Dans le pays des Bambaras il y a une région qu’on nomme Baninko à cause de la rivière Baninko qui la traverse avant d’aller se jeter dans le Dioliba (Niger), pas loin de Bamako, à environ trois jours de marche de cette ville.
Dans ce pays de Baninko se trouve un village du nom de Tiendougou. C’est un village plus grand que Faranah et qui est tout près de la rivière Baninko. Un homme de ce village, qui s’appelait Bandiougou Kouloulaby, allait un jour à son lougan. Sur sa route il rencontra une femme de diable qui, de l’arbre où elle se tenait cachée, l’avait vu venir et le trouvait à son goût. Elle pensait bien qu’il ne ferait pas le difficile car, comme toutes les femmes de diables, elle était très jolie, et d’ailleurs les hommes n’ont guère l’habitude de se faire prier.
Elle alla donc à sa rencontre et sans plus de façons : « Où donc vas-tu ? lui demanda-t’elle. — Je vais à mon logan ! répondit Bandiougou. — Et bien, je veux te prendre comme bon ami ! » Et le garçon : « Je ne demande pas mieux, car tu es très jolie ! »
Bandiougou pose son fusil par terre, car il le portait toujours avec soi pour le cas où il rencontrait une biche. Il commence à « faire des blagues ». Lui et la femme de diable faisaient ce qu’on fait toujours en ce cas-là et la conversation tirait à sa fin quand, tout à coup, le diable arrive. Devant ce spectacle, il se fâche et assène à l’homme un grand coup de bâton. Tu penses que la femme du diable n’était pas contente. Elle commence à injurier son mari et à se disputer avec lui. Bandiougou en profite pour se sauver à toutes jambes, laissant là son fusil. Le diable l’a ramassé pour lui.
Mais depuis ce jour-là le diable en question est devenu furieux et comme fou. Il ne peut plus voir quelqu’un du village sans le frapper comme un forcené. Il a même tué une petite femme, car il était trop en colère pour se venger d’une autre façon.
Tu me demandes comment ces diables-là sont faits. Je n’en ai jamais vu, mais ceux qui en ont vu disent qu’ils ont de longs cheveux, si longs qu’ils les ramassent en coussin pour s’asseoir dessus. Les uns sont grands, les autres petits, mais tous ont quatre yeux : deux à la place ordinaire et deux sur le front. Voilà tout ce que j’en sais. N’oublie pas mon bounia.
Blaise Cendrars / Anthologie négre