« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Héro­dias

 

 

 

 

 

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Puis, ce fut l’empor­te­ment de l’amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prê­tres­ses des Indes, comme les Nubien­nes des cata­rac­tes, comme les bac­chan­tes de Lydie. Elle se ren­ver­sait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tem­pête agite. Les brillants de ses oreilles sau­taient, l’étoffe de son dos cha­toyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vête­ments jaillis­saient d’invi­si­bles étin­cel­les qui enflam­maient les hom­mes. Une harpe chanta ; la mul­ti­tude y répon­dit par des accla­ma­tions. Sans flé­chir ses genoux en écar­tant les jam­bes, elle se courba si bien que son men­ton frô­lait le plan­cher ; et les noma­des habi­tués à l’abs­ti­nence, les sol­dats de Rome experts en débau­ches, les ava­res publi­cains, les vieux prê­tres aigris par les dis­pu­tes, tous, dila­tant leurs nari­nes, pal­pi­taient de con­voi­tise.

Ensuite elle tourna autour de la table d’Anti­pas, fré­né­ti­que­ment, comme le rhombe des sor­ciè­res ; et d’une voix que des san­glots de volupté entre­cou­paient, il lui disait : «Viens ! viens !» » Elle tour­nait tou­jours ; les tym­pa­nons son­naient à écla­ter, la foule hur­lait. Mais le Tétrar­que criait plus fort : «Viens ! viens ! Tu auras Caphar­naum ! la plaine de Tibé­rias ! mes cita­del­les ! la moi­tié de mon royaume !»

Elle se jeta sur les mains, les talons en l’air, par­cou­rut ainsi l’estrade comme un grand sca­ra­bée ; et s’arrêta, brus­que­ment.

Sa nuque et ses ver­tè­bres fai­saient un angle droit. Les four­reaux de cou­leur qui enve­lop­paient ses jam­bes, lui pas­sant par-des­sus l’épaule, comme des arcs-en-ciel, accom­pa­gnaient sa figure, à une cou­dée du sol. Ses lèvres étaient pein­tes, ses sour­cils très noirs, ses yeux pres­que ter­ri­bles, et des gout­te­let­tes à son front sem­blaient une vapeur sur du mar­bre blanc.

Elle ne par­lait pas. Ils se regar­daient.

Un cla­que­ment de doigts se fit dans la tri­bune. Elle y monta, repa­rut ; et, en zézayant un peu, pro­nonça ces mots, d’un air enfan­tin :

«Je veux que tu me don­nes dans un plat, la tête…» Elle avait oublié le nom, mais reprit en sou­riant : «La tête de Iao­ka­nann !»

 

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Gus­tave Flau­bert / Héro­dias / La danse de Salomé (extrait)