« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ODE CANTALIENNE

 

 

 

Au bon air des dômes, au plus haut des puys,
rien ne te manque, Cantalien, et tout ou presque
mériterait chez toi de faire fresque :
la Salers du labeur, reine des pâturages,
l’art de presser la tomme obtenue du « caillé »,
d’en tirer un fromage à la saveur fruitée,
le bien-nommé Cantal qu’on aime jeune ou vieux
ou bien encore dans son entre-deux ;
ce que, de tes voisins, tu détiens en partage :
l’amour du Saint-Nectaire, enfant du Puy-de-Dôme,
qui se cloître et s’encroûte en bonne odeur de sainteté,
le goût du bleu d’Auvergne persillé,
lait saturé de tout ce que le bovin broute
et rumine à l’écart des routes :
l’herbe grasse, les graminées
et les petites fleurs des prés :
centaurée, achillée que l’abeille butine,
campanule azurée que le marcheur piétine,
potentille et trèfle blanc
et peut-être orchidée mâchée par accident,
mais non pas gentiane à la racine amère
qu’on met à macérer pour ouvrir l’appétit
avant force truffade, aligot et pounti.
Vive l’apéro des montagnes !
Mais ces mets du pays, quel vin les accompagne ?
Nulle piquette ni vin sur :
venu de l’Allier, un Saint-Pourçain pour sûr !
Cantalien, quittons la table.
Dis-moi la source et le volcan (on croirait une fable),
les cratères éteints, les gorges, les torrents
menant aux rivières soumises
à ces colosses arcs-boutés entre deux rives ;
à ciel ouvert, toutes les mines :
la lauze, le granit, la sombre pouzzolane
des chapelles romanes
et pour le pèlerin qui s’accorde une halte
non les orgues bénis mais ceux faits de basalte.

 

Rien ne te manque, Cantalien :
tu espères l’oiseau et toujours l’oiseau vient.
Planant, sifflant sur les à-pics,
deux milans te contemplent.
Ce sont milans royaux sur les ruines d’un temple
offert à tous les vents, masque aux orbites creuses
d’où clament les corbeaux.

-Cantalien, crois-tu que le printemps est proche
ou devrons-nous longtemps attendre son sourire ?
-Mon cher, quand nos vallées tardent à refleurir
croyez-vous que je m’en étonne ?
Je vais sur les sommets que la neige festonne
guetter les derniers feux d’un hiver encor beau.

Michel Sirey