« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA PLUIE SAUVE

 

 

 

À l'oreille la pluie sauve
Lorsque le soleil n'est que silence
Les murs de pierres sèches
Boivent aux regards aveugles et gais
En habitant cet endroit
Qui sait
Sous ses coups de fouet de lumière
Dans cette musique sans cesse mouillée
Je suis déjà immortelle

Derrière la fenêtre à présent
On ne distingue plus
De l'averse ou de moi
Laquelle des deux croque une pomme
Et une main m'a poussée
Et le jardin m'a prise
Comme chamane aux pieds nus
Moi qui ne tient plus debout

Il m'a attirée dans ses ailleurs en terre
Il a bu à la saignée de mon cri mourant
Et le ciel s'est percé du sourire d'une gloire
Il a gommé de sur ma peau
Le travail des jours sans désir
Je n'avais hélas pour lui jamais assez d'épines
Dont j'aimais les caresses

Et lui tirer notre lit
Qui sait
Sous ses dehors éternels
Ce qu'il attend encore de moi folle
Lorsqu'il me rend à l'automne
Moi je ne m'habitue pas

Il est des âmes comme ces gouttes d'eau
Qui cognent sur les vitres et rincent les poitrines
Elles marquent mes joues et mes yeux et ma vue
Au fer rouge d'une errance sous le manteau d'une vie repue
Le jardin seul me connaît tête nue
Et attend de la pluie qu'elle me coiffe d'une transe
Dans l'inconnu des autres
Ce feu que je piétine et tue
Moi je n'aurai plus jamais froid dans une poignée de terre
Dieu sous la cendre
Qui sait
Pour combien d'âmes
Je dois vivre encore
Et seulement vivre

 

Céline Walter / Poèmes de gouttière
photo : Céline Walter au Gueulard, à Nilvange (57), lors des "Dimanches en poésie" du 02 juin 2024.