« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

aux rives de la houlette

 

 

Vers un Eldorado de Provence et de mer
Du fin fond des hauteurs de la neige éternelle
Le fleuve dévala des sommets de l'hiver
Jusqu'au ras des clochers où feuillolent les ailes

Il descendit aux méandres des boqueteaux
Longeant des sources de cèpe et de belladone
Quand l'angélus sonna dans le creux des coteaux
Le fleuve était aux rives jaunes de l'automne

Seules les églises d'éboulis en sablons
Dressaient sur les moutonnements glauque-havane
Une tige immobile arrachée aux saisons
Nouant le ciel aux toits de chaume des cabanes

Rentrant vers l'ombre proche un couchant indigo
Conduisait le déferlement des croupes lasses
Passant des pins de l'aube aux colzas vespéraux
Le long des nids de bourgs accrochés aux crevasses

Puis surgirent les oliviers et les cyprès
Quand s'annonça le printemps au bas des alpages
Dans la vallée avec un arôme d'œillet
Et de courts télégrammes de menthe sauvage

Et je vis moins un fleuve qu'un laineux torrent
Qui contournait les processions du dimanche
Du Vercors vers le Rhône aux roseaux de printemps
Le flot devint une transhumante avalanche

Ayant du haut en bas descendu les saisons
La vallée entrouvrit sa végétale écluse
A l'assaut d'une animale inondation
De moutons qui balayaient tout vers le Vaucluse

Et le torrent traînait un sillage de suint
Des deux mille mètres de l'hiver à l'automne
Et l'été sans printemps bascula dans les foins
Mille brebis massant leur laine monotone

D'un long fleuve sans onde au dédale des vents
Je suivis de mes yeux de fuite violette
L'instant d'un lent troupeau sans rive et cependant
Endigué par les deux rives d'une houlette

 

Robert Goffin / le versant noir