« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Rires et larmes d'un enfant noir

 

 



     Un enfant noir contre nature a mille ressources, dans sa lutte contre les saisons plus d'un atout, dans sa fa!on d'aspirer toute la vie qui naît du majestueux soleil, de tous les rocs polaires, une force, une joie, un appétit, une coquetterie qui fait pâlir la lionne fantaisie de la forêt abritant de frêles arbres.
     L'enfant noir crie quand vient tomber sur sa peau douce et pure comme l'eau de source que les rocs ont filtrée le jour qu'un horloger avare distribue e compte-gouttes.
     L'enfant noir crie et demande que son corps, le diamant de sa peau qui illumine ses nuits se substitue au soleil inconstant
     L'enfant noir demande que sa peau plus riche qu'un ciel de fête de Noël prenne la direction d'un monde enténébré par la fumée qui monte des couches de l'or.
     C'est pour cela que de tout temps rit l'enfant noir.
     C'est l'argument de son sourire, la source inépuisable de la plus grade bonté, quelque chose qui ressemble à la racine même de la vie. Ni vouloir de dominateur. Ni soin calculé de charmé Ni stupide besoin d'amuser.

     L'enfant noir rit avec ses pores au moment où s'annonce l'aurore.
     L'enfant noir offre ses cheveux à l'aube qui égrène chaque matin un jour nouveau sur tous les peuples.
     Et l'aube est désarmée car les cheveux d'un enfant noir sont un chapelet interminable C'est le miroir des jours qui naissent indéfiniment, interminablement.
     Les cheveux de l'enfant noir, c'est le matin qu'ils sont beaux quand le songe les a arrimés comme des grains de poivre l'un à côté de l'autre.
     C'est un présent du plus insoutenable soleil.
     Les cheveux de l'enfant noir ont eu la confidence des temps   

          Mais l'enfant noir pleure
                parce que le jour épuise comme un ennemi
                parce que la faim met à l'épreuve tous ses sens
                       innocents
                parce qu'un buisson court-circuité devient
                   monstrueux dans un songe et ressurgit plus
                   impérieux le matin
                parce que le pain du matin jusqu'au soir n'est
                   pas rentré dans la maison
                parce que les huissiers ont sommé son père de
                   déloger
                parce que l'instituteur l'a fouetté pour une leçon
                   oubliée sous l'emprise de la faim  
          

          Et puis ses camarades ont ri de la plante de ses pieds; les semelles ont cédé avant la fin de l'année
          Et puis ses lèvres sont blanches car depuis le matin elles n'ont reçu que de 'eau pour l'office de ses dents
          Et puis l'enfant a transpiré toute la nuit et ses genoux sont faibles   


                L'année s'écoulera
                Un autre Noël viendra sans surprise sans cadeau
                Et la fête des Saints Innocents aussi
                Et le premier jour de l'an aussi

                Mais la maison n'est toujours pas payée
                Et les banquiers sont impatients

          Et l'enfant noir en sortant de l'école s'arrête devant les vitrines, regarde les jouets, et les narines rappellent le souvenir d'un nouvel an, rappellent un plat préparé par la mère, la mère infatigable, la seule magie de la maison, la mère qui fait réciter les leçons avant de prendre sa bible pour implorer la grâce, la mère exemplaire, la mère invaincue, la mère qui tient tête à toutes les saisons aux monstres des banques, aux lois des tribunaux
          Et cette mère apprend à l'enfant l'oubli des soucis le secret de toute force


          Elle apprend aussi à l'enfant à désirer en tout temps la puissance
          Cette mère s'est installée dans son enfant pour boire ses larmes, pour lui apprendre à rire, à désirer invinciblement
          Et puis à l'enfant elle a dit : Deux ruisseaux sur es  joues sont creusées le long de mes narine pour pleurer à ta place et je te lègue toute ma fore de rire pour l'avenir

 

Jean Métellus / Au pipirite chantant