« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

SI JE MOURAIS LÀ-BAS...

 

 

 

 

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée,
Tu pleurerais un jour, ô Lou, ma  bien-aimée.
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée,
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur.

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier :
La mer, les monts, les vals et l'étoile qui passe,
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'space
Comme font les fruits d'or autour de Baratier.

Souvenir oublié, vivant dans toutes choses,
Je rougirais le bout de tes seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants.
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants.

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté,
Aux fleurs plus de couleur, plus de vitesse à l'onde,
Un amour inouï descedrait sur le monde.
L'amant serait plus fort dans to corps écarté…

Lou, si je meurs là-bas, souvenir qu'on oublie,
— Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur —
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur !
Et sois la plus heureuse étant la plus joie,

Ô mon unique amour et ma grande folie !

Guillaume Apollinaire
30 janv. 1915,
Nîmes

L a nuit descend,
O n y pressent
U n long, un long destin de sang.

 

Guillaume Apollinaire / Poèmes à Lou