« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Tout le jour, je cours devant le vent

 

 

 

Tout le jour, je cours devant le vent
Vif et bleu et infatigable,
Comme un renard fuyant les meutes
À travers les collines dorées de soleil
Qui embaument comme le pain croustillant et chaud ;
Et l'arc tendu des cieux
A dessiné sur sa face un voile
D'or et de pourpre. Les membres épuisés,
Je plonge, essoufflé, je m'étends
Sur la poitrine saillante, brûlante de la terre.
Je suis allongé, je devine le battement
De son cœur froid, éternel
Et qui, pourtant, a vu tous les âges
Passer sur ses arbres et sa bruyère.
Les voiles de l'azur tombent
Et se posent sur l'horizon étincelant
Tandis que l'éclair bleu de l'océan
Avance et vibre sans fin.

Plus haut ! Plus loin ! À présent, j'irai
Dans un verger aux fruits d'or
Manger de douces et belles poires, de tendres
Baies, de brunes grappes de raisin.
Je les porterai à mes lèvres en chantant,
Tachant ma joue et mes doigts,
Puis j'emplirai mes mains, je ne sais pourquoi,
Et de nouveau dans le ciel,
Entre les arbres et enfin au bord de la rivière,
Voilée d'or elle aussi comme en rêve,
Je m'étendrai dans une douce clairière
Protégée par la brume pourpre,
Mes fruits près de moi et me reposerai
Dans la lumière tamisée du soleil
Qui me couvrira comme un manteau :
Je coule dans le songe sans résister
Tandis que le vert crépuscule encercle
La clairière emplie de soleil
Comme un vin doré dans une coupe.

 

Wiliam Faulkner / Le Faune de marbre
traduit par R.-N. Raimbault et A. Suied