« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA DERNIÈRE NUIT


 

 

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Jardin des oliviers chaque nuit

recommencé : la prison de Fresnes,

le meurtre avait eu lieu hors les murs,

mais pas l'agonie et ses sentences.

 

I

 

Sa mort, il parlait avec elle

depuis cent vingt-cinq jours.

arrestation, baignoire,

poignets sciés par les menottes,

tessons de verre dans les genoux,

froid glacial des cellules qui

paralyse mots et attitudes

étaient autant de jalons.

 

Sous le regard fermé des gardiens,

celui grandiloquent des miradors,

à travers les géographies illimitées

des murs de Haute surveillance,

il portait les derniers instants

d'une vie à peine commencée,

comme le sang séché de la torture

sur la chemise et le tricot.

 

Sa seule idée, tenir jusqu'au

jour limite de ses dix-huit ans.

Bon anniversaire, mon grand,

aurait écrit le père.

Nous t'embrassons, mon Roger,

aurait ajouté la mère.

De lettre, il n'y eut que la sienne

pour dire adieu, et souvenez-vous…

 

Il fut exécuté la veille.

 

…. / …

Armand Gatti / Comme un battement d'ailes - Poésie 1961-199 / La dernière nuit (extrait)